Le sol, « chose sans maître » ?
Dans cet article de journal, je me confronte aux documents du Bureau de Recherches Géologiques et Minières ainsi qu'à un module de formation conçu par trois ingénieurs de l'école des Mines d'Alès. J'y étudie la terminologie technico-solutionniste pour voir quels télescopages réaliser dans une optique poétique, contestataire, voire révolutionnaire, où les termes techniques seraient de nouveau socialisés, employés par le plus grand nombre, rempli d'un sens neuf et désirable pour la majorité de ses usagers. Tous les textes en italique sont issus de recherche sur d'autres sites, je n'en ai pas la paternité: les liens sources sont cliquables sur les textes soulignés.
Généalogie des trous
Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM, établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre) indique sur son site InfoTerre: En France chaque année l'ensemble des dommages occasionnés par des mouvements de terrain liés à des cavités souterraines (effondrements..), ont des conséquences humaines et socio-économiques considérables.
Le sol et le soi, c'est aussi le dessein de faire une généalogie de ces trous, qui nous font, qui nous sont : des trous physiques, des manques de matières. "Lacunes" dans l'atome. Des trous, compromis par l'imminence d'un acte poïétique ; des trous psycho-verbaux, dont le fond est l'aphasie, le dégorgement, l'enfouissement, le refoulement ; les trous accueillants, sinon habités, de Réginald Gaillard. Ceux de Yael Naim : « Des trous dans tes pieds/ Tu cours pour pas tomber (...) Tes trous qui respirent/ C'est ce : " nous " qui m'inspire/ Qui brise mon empire/ Qui m'arrache un soupir (...) ». À propos de soupir, n'est-ce pas là le but des soupirails, de laisser sangloter à la surface les caves ? Des trous gisants, des gisements, gitologiques. Des trous d'idées: impensées. D'air, d'eau. Etc.
L'Inventaire des cavités souterraines de la plateforme gouvernementale Géorisques est une ressource passionnante. On peut chercher par département pour découvrir ces lieux référencés en creux, comme si leur présence ne nous intéressait que pour nous détourner d'eux (on s'intéresse en effet à leur sort parce qu'ils constituent un risque géologique). Je suis très excité à l'idée des perspectives que ça va pouvoir ouvrir pour ma recherche. Plus loin, je tombe sur le site internet du spéléo-club de Vesoul, petite association animée par quelques bons pères de famille très motivés à explorer les sous-sols haute-saônois.
Mémoire du risque
Le document Inventaire départemental des cavités souterraines hors mines de Haute-Saône (2009) glané sur le site d'InfoTerre mentionne et du même coup classifie : Les cavités concernées par cet inventaire sont : les carrières souterraines abandonnées, à savoir les exploitations de substances non concessibles et dont l’exploitation est désormais arrêtée (annexe 3) ; les ouvrages civils tels que les tunnels, les aqueducs, les caves à usage industriel ; les ouvrages militaires (fortifications et sapes des dernières guerres) ; les cavités naturelles. Il s’agit de recenser, localiser et caractériser les principales cavités souterraines (...) de la Haute-Saône, puis d’intégrer l’ensemble de ces données factuelles dans la base de données nationale sur les cavités souterraines (BDCavités) (...).
Ce paragraphe éclaire les enjeux liés au développement d'une mémoire du risque d'effondrement: À l’échelle locale (départementale), il s’agit en premier lieu de conserver la mémoire des cavités souterraines, désormais pour la plupart abandonnées. Les archives écrites concernant les anciennes exploitations sont généralement incomplètes et dispersées. L’information est le plus souvent transmise oralement, par des témoins concernés à des titres divers (propriétaires fonciers, élus communaux, anciens carriers, champignonnistes, …), ce qui la rend fragile et difficilement accessible. Les mouvements de populations et la pression foncière conduisent à construire ou aménager dans des sites autrefois délaissés, car sous-cavés, mais dont l’historique n’est plus connu. Il est donc primordial, pour prévenir les accidents qui pourraient résulter de tels aménagements, de maintenir la mémoire de ces carrières souterraines abandonnées et de diffuser aussi largement que possible une information fiable et homogène les concernant. J'ai du mal à imaginer une mémoire exclusivement administrative, technique... C'est d'ailleurs pourquoi le domaine d'Abbadia allié au Conservatoire du littoral à Hendaye orchestrent les résidences Arriskua, croisant art et sciences, cette année 2024 autour du sujet de la mémoire des risques de submersion.
Cartes de l'aléa
L‘information concernant la localisation et l’extension des cavités souterraines abandonnées, lorsqu’elle est disponible, (...) peut en particulier permettre l’élaboration de cartes de l’aléa associé à la présence des cavités souterraines, (...). La connaissance des zones sous-cavées est jusqu’à présent diffuse, hétérogène et incomplète. Il s’agit donc de rassembler la totalité des informations disponibles (sans qu’il soit possible de prétendre à l’exhaustivité en la matière) et de la stocker, sous forme homogène, dans une base unique et fédérative de données géoréférencées : la Base de Données (BD cavités) nationale dont les développements informatiques ont été cofinancés par le ministère en charge de l’environnement de 1999 à 2001.
Voilà pour l'Inventaire départemental des cavités souterraines hors mines de Haute-Saône (2009).
Le seul responsable potentiel d'une pollution des sols à Frétigney et Velloreille (répertorié par une fiche CASIAS sur la même plateforme) serait la société MISCHLER SOPRECA, une usine de fabrication de fermetures en bois ouverte l'année de la naissance de mon père, en 1962. En effet, j'écrivais ces lignes avant de me rendre sur place, mais je dois bien dire que, même dans cette petite commune disposant d'un beau clocher, ce n'est pas l'église qui est au centre du village, mais l'usine, en l'occurrence les hangars massifs de Monsieur Mischler.
Il existe un certain nombre de grottes et points d'intérêt spéléo assez proches de la commune où je me trouve, comme la grotte de la Baume Noire de Frétigney. Plus loin, le gouffre de Captiot, mais aussi le réseau de Chaland, plus de 10 km de galeries enfouies le long de la rivière souterraine du Deujeau.
Terminologie magico-scientiste
Sur le module de formation Prospection/exploration et évaluation économique des ressources conçu par trois ingénieurs de l'école des Mines d'Alès, je prends connaissance d'un vocabulaire que j'ai trouvé intéressant. Il comporte une poésie qu'on peut saisir avec le recul, mêlant des éléments de droit issu notamment du code minier et de jargon d'ingénierie.
Voilà quelques pépites : le tréfonds ou sous-sol, c'est le volume de terre se trouvant sous la surface du sol et dont une personne est propriétaire. Il s’agit donc d’un élément du droit de propriété. A ce titre, il est pris en compte sous plusieurs angles par le droit de l’urbanisme et de l’aménagement.
Les res nullius: leur définition est donnée par l’article L1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, qui définit les choses sans maître (...). Outre les ouvrages mentionnés à l’article L 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques relative aux biens immobiliers vacants dont les propriétaires sont inconnus, les res nullius peuvent également être pris en la forme des animaux sauvages (gibiers, poissons, coquillages, etc.) dès lors qu’ils sont à l’état sauvage.
La gitologie : discipline de la géologie qui étudie les gîtes minéraux (ou gisements dans le cas de gîtes économiquement exploitables). (...) Le terme « gitologie » a été inventé à la fin des années 1960 par les géologues du BRGM.
Une roche-mère: une roche sédimentaire riche en matière organique. Au cours de l’enfouissement du sédiment, et avec l'augmentation de la pression et de la température, la matière organique des roches-mères se transforme progressivement en hydrocarbures. (...) En géologie pétrolière, la roche mère est l'une des trois composantes d'un système pétrolier, avec la roche réservoir et la roche couverture. Il n'y a donc pas que la terre-mère ! Ironie de la pachamama...
J'ignorais que les géologues avaient des carnets de terrain, comme les anthropologues !
Géophone : capteur (...) permettant l'enregistrement et/ou la mesure du vecteur vitesse des vibrations sismiques (ou micro-vibrations) au travers du sol. C'est un peu l'équivalent de l'hydrophone qui fonctionne sous l'eau, et qu'on utilise pour enregistrer les vibrations sonores transmises par l'eau (...).
Le module montre clairement l'obsession des ingénieurs des Mines pour le rendement économique de leurs recherches. Cette citation synthétise le ton globalement adopté, derrière un vernis de rigueur scientifique: L'objectif d'un projet minier ce n'est pas d'extraire « le plus de ressources », mais d'extraire des « ressources à un coût profitable ». Une phrase aussi cynique que réaliste. Plus loin on explique, comme pour donner bonne conscience, que « tout projet minier doit privilégier dès l'origine, le dialogue avec les populations locales et intégrer la limitation et le traitement des impacts environnementaux des exploitations, garant de son acceptation sociétale. »
Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.
« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage