Lever de soleil, premier jour de l'intervention à l'école

Préalablement insufflé

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Pourquoi étaient-ils gênés ?

Ce qu'il passe dans les temps de présentation publics dépasse largement le simple temps de leur exposé.

Je vois le premier temps de rencontre avec les parents et leurs élèves, comme le produit de toute une série de grandes frises chronologiques. C'est un jour commun à plusieurs frises, correspondant à autant de calendriers, de parcours, d'existences simultanées, correspondant à autant de protagonistes. Puisque chaque frise a une intention particulière, le jour qui leur est commun est polychrome de toutes leurs teintes. Ce moment fugace est le produit de tous ces autres jours, de tant d'autres jours aux vitesses si diverses. La présentation est donc d'avance moulée, tournée dans un sens mélangé, qui lui a préalablement été insufflé. Toutes ces frises viennent injecter leur puissance dans cette pâte meuble. On vient essayer de la modeler un peu, le jour de la présentation. 

Pour les élèves, ils avaient été préparés. Nous savions à peu près quelle musique partager. Je devais leur produire un exposé intéressant, cohérent, les emmener dans mon travail d'artiste; ils me devaient attention, curiosité. Pour les adultes, leurs parents, ma rencontre avec eux fut un malentendu. La plupart ne savait pas trop à quoi s'attendre. Le rapport de force n'était pas à mon avantage. Je me suis senti ridicule à faire mon petit tour de passe-passe intellectuel face à des parents qui avaient parfois l'âge des miens. En outre, je ne pensais pas qu'ils viendraient dans cette posture prudente qui confine à la méfiance, une sorte de politesse farouche, de subordination que les corps accusent quand ils passent les portes d'une institution, aussi humble soit-elle. Je voulais, à l'instar du moment avec leurs enfants plus tôt, partager un moment convivial. C'est là que se trouvait notre malentendu. Nous ne parlions pas la même langue. Je m'adressais à une maison vide, sans me rendre compte qu'on m'écoutait, en différé, depuis la même salle d'une autre maison dans laquelle d'autres règles ont cours. Ils attendaient que j'incarne le maître d'école. Sa bonhomie, sa cordialité, son autorité surtout. Ça m'a fait bizarre de voir qu'ils attendaient de moi ce que je ne suis pas, et ne veux pas être.  

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage