Frétigney-et-Velloreille, centre du village

J'en ai l'espace

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Disons-nous « le terrain prime » ?

On arrive parfois de l’extérieur, beau et tout rose, qui diffère complètement de là où l’on va. Untel veut questionner la conception qu'ont les gens de l’amour pour appréhender l'universel. Il vient d'une bulle tranquille, mais se rend dans des zones de guerre. Untel veut questionner le bonheur. Pourtant il croise la peine, la détresse.

Comment interroger des gens dans une situation dont beaucoup de choses les éloigne de ce qu’on cherche à connaître ?

Le kebab du village

À Frétigney et Velloreille, j’ai envie d’interroger l’hospitalité. Pas forcément dans la dimension de l'hébergement matériel des personnes, mais plutôt dans la capacité à avoir des lieux de parole, conflictuels ou conviviaux, confrontationnels, oppositionnels, mais des lieux de rencontre où on peut entendre plusieurs langues dans la langue. Des formes de dire qui font territoire, des formes  de territoire qui font des formes de dire, avec contradiction s'il vous plaît. Mais l’hospitalité, à part dans le kebab du village, elle ne vous saute pas aux yeux. Il n'y a pas beaucoup de choses à faire si on compare les lieux à la ville, capitale alsacienne, où je vis. Mais c'est bien là le piège, de s'arrêter sur ce qu'on ne trouve pas plutôt que de comprendre ce qu'on trouve.

Des hérauts, des héros

À Hautepierre, Strasbourg, je voulais donner à entendre, et donc étudier les différentes actions d’engagement, les citoyens éclairés, avec cet idéalisme intellectuel selon lequel ce n’est pas parce qu’on est en milieu populaire qu’on courbe l’échine, qu’on refuse de lutter. Ce qui contient une part de vrai, évidemment. Mais arrivé à Hautepierre, je me suis d’abord dit: il faut se réduire à l’évidence, c’est dur de trouver des gens qui ont une conscience de classe, qui luttent, des gens engagés qui s’affirment en tant que tels sans morale religieuse, et qui acceptent d'en parler. Je cherchais des hérauts, des héros. Je me cherchais aussi des alter-ego, avec les mêmes signes distinctifs, bref les mêmes appartenances de classe, perdu dans mes repères égocentrés, sans laisser de place à ce qui était là.

Après réflexion, j’ai vu les engagements; et je les ai encore mieux vus quand j’ai cessé de les nommer comme on ne les nommait pas là-bas : mon obstination politique, sorte de fétiche pour le jeune travailleur que j’étais, faisait fuir les gens. J’ai vu les engagements quand j’ai cessé de les rêver et que je suis allé à la rencontre de ce qui se passait déjà-là, avant-même que j’arrive. En partant de ça, dans ce qu’on voulait bien me raconter, j’ai trouvé ce qui m’intéressait, car parler c’est s’exposer, et déjà se donner à l’autre, et le recevoir dans une maison de mots. Penser la relation; il s’agit toujours de retrouver les gens à mi-chemin.

Origine du rejet

Ça m'amène à ces personnes qui à Frétigney et Velloreille ont l’air intimidées de me parler. Déjà, elles ne me connaissent pas. Peut-être trouvent-elles mon attitude désobligeante. Peut-être aimeraient-elles être à ma place. Peut-être sont-elles simplement mal à l’aise parce qu’elles s’imaginent que je les juge. Peut-être sont-elles mal dans leurs peaux Et je me dit: comment peut-on espérer s’extirper du rejet de l’autre si on ne comprend pas que le rejet de l’autre provient du fait que celui ou celle qui rejette est peut-être quelqu’un qui se sent lui-même rejeté ? D’où cette nécessité de fomenter des espaces de paroles où il est possible de dire: je me suis senti rejeté par le passé, maintenant, je viens à toi, je te le dis, et beaucoup d’autres choses encore. J'en ai l'espace, tu es là, j'y vais.

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage

Vue champêtre de Frétigney-et-Velloreille
Vue champêtre de Frétigney-et-Velloreille

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