Se confronter aux problèmes soulevés par cette résidence de recherche création territorialisée
Pendant mes études, j'avais créé une vidéo faite de la captation de moments d'attente. Champ de vision d'un auto-stoppeur embusqué; cuisinier plongé dans le bouillonnement d'un ragoût qui mijote; cour d'immeuble que le calme et quasiment la torpeur love dans des murs lourds et immobiles, etc. Je voulais montrer et voir le temps indéboulonnable que je ne peux pas accélérer. Ce temps que le roulis d'une rivière permet de mesurer beaucoup plus joliment qu'un métronome. Délégations s'appelait la vidéo. Je voulais observer ce qu'on a toujours devant soi quand on attent, mais qu'on n'observe... presque jamais.
Ils sont par étymologie ce qu'on a devant soi: les problèmes. Ils seraient l'occasion de s'intéresser à ce qui est maintenant. Car dans l'idée d'une chose à venir devant nous, encore intangible (autrement que par les yeux, l'idée, l'anticipation) ils nous échappent la plupart du temps. On a beau prévoir, anticiper, certains problèmes sont insolubles, temporairement, ou pour toujours. Après une marque d'attention pour ce qui va advenir, l'égard pour ce qui est là est donc nécessaire. La nécessité d'un court-circuit de la faculté anticipatoire se fait sentir. Les problèmes nous apprennent à voir en nous, ni derrière, ni devant, peut-être dans le lieu imaginaire du dessous d'hier et de demain, qui est le fugace moment d'ici-là. Alors, l'aspect prosaïque et figé du problème peut tomber et ouvrir une percée sensible, belle ou laide, émouvante souvent. Le problème est un aller vers une contemplation proto-méditative. C'est drôle qu'on dise qu'un problème sans issue est insoluble: les problèmes sont donc des solides ? Impression de ressentir leurs formes à la fois si tangibles et si mentales, dans l'état de pré-endormissement. Noyons les problèmes, dans ce qu'on voudra: nageons.
Le mi-parcours est la latence que je ne peux pas accélérer; j'atteste dans ce journal des murs que je pressens s'élever comme des remparts, obstacles à la croisée des chemins et des possibles que j'aime tant, au fur-et-à-mesure que le temps passe. le mi-parcours, c'est le meilleur moment pour consigner quelques problèmes que la recherche a cristallisé jusqu'à aujourd'hui.
Ce que j'ai devant moi à l'heure actuelle, c'est un certain nombre de questions.
Pourquoi serait-il nécessaire de s'intéresser aux relations qu'entretiennent les habitants à leur territoire ? Pourquoi la parole est-elle une substance qu'il faut entretenir en l'étudiant et en lui donnant une place à vivre ?Comment l'artiste plasticien que je suis peut-il transformer les paroles rencontrées en une proposition artistique ? En quoi habiter mobilise la parole de l'habitant ? Pourquoi faudrait-il produire une restitution pour qu'un travail artistique ait un écho ? Si oui, laquelle ? À qui est-ce que je m'adresse en qu'artiste ? Qu'est-ce que serait une oeuvre sonore pertinente pour rendre compte des enjeux apparus dans ma recherche ? Quels choix faire dans la masse des pistes à approfondir, pour donner lieu et résonance à ces questions? Comme le chante modestement Jean Leloup il faut « Choisir, entre tous les gens qui m'entourent. Comment faire une telle preuve d'amour ? »
Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.
« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.