vue sur un champ, Recologne les rioz

Les archétypes et les choses

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Le fil est vraiment un mariage entre la terre et l'air: je me souviens passer un fil indocile dans le chas d'une aiguille. Je ai l'électricité statique le tordre, comme un serpent.

Les mots peuvent être des couteaux : quand on les lave, il faut avoir la main leste. Comment sinon ne pas s'appuyer sur le fil de la lame, comme on s'adosse au mur ? Comment éviter de trancher, ou plutôt blesser ? Car les mots tranchent toujours; c'est leur fonction. Délimiter, même si de savants et malicieux utilisateurs les emploient comme des détours, des lisières. Ils font mentir la langue : c'est beau. Il y a aussi ceux qui déjouent leur tension dramatique. Si leur but est de décider, de décoder, eux parlent au contraire sans cesse, comme l'alcoolique de l'abécédaire deleuzien, qui veut toujours aller, encore, jusqu'au dernier verre; ils ne peuvent se décider à aboutir, à choisir, pour se rendre au dernier mot. Chant magnifique de toutes les entrées, de tous les chemins, et tous les possibles ! Antichambre confortable et protectrice. Comment éviter d'amorcer les mots, comme une charge explosive ?
Mais un couteau est un archétype beaucoup trop complexe pour le rattacher uniquement à l'air, aux mots. Il y en a des terrestres: ceux qui servent à limiter. Mais les couteaux à beurre par exemple sont des couteaux de réunion. Car manger, petit déjeuner, tartiner, sont les gestes du matin, de la naissance dans la matière, du réveil par elle (et le grille pain, le café). Ce sont des couteaux de miction, d'eau, d'émotion, d'être. Les couteaux de circassien en spectacle sont de feu, d'action, comme le coutelas du soldat en milieu hostile. Le couteau suisse est un mélange entre une essence terrestre (celle du dépouillement, de la condensation des éléments en un seul) mais aussi un élément rappelant le jeu, une idée propre à la dialectique du feu et de l'air. Une chose est une infinité d'archétypes.

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage