Inondation au lavoir de Frétigney-et-Velloreille

Adversaire, pas ennemi

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Pour qui voit les conflits, ardue est la neutralité.

Émerveillé par les mondes souterrains, leur mystère, leur potentiel évocateur, je trouve à Frétigney-et-Velloreille deux personnes qui m'en parlent.

L'une défend la préservation maximale de la cavité de la Baume Noire. Les vestiges archéologiques, le lieu de vie d'une colonie de chauves-souris ne peuvent donner lieu qu'à un accès restreint au plus petit nombre possible de scientifiques. L'autre, préfère que la grotte soit un lieu didactique, ouvert à un maximum d'humains formés en spéléo, pour qu'ils respectent mieux les besoins du milieu.

 Quelle position tenir pour l'artiste ? Faut-il prendre parti ? Le fait d'être là, loin de l'urbain de la classe créative, loin des institutions muséales de reconnaissance étatique de l'art, n'est-il pas déjà un engagement ? Comment arbitrer dans les récits que nous faisons envers telle cause, tel groupe de personnes ayant sa vérité propre ? Si oui, comment le justifier ? Si non, comment ne pas se positionner ? Le passager, figure mutable, doit penser à comment réagir en cas de conflit.

Le conflit est il un frein ou un catalyseur de création ? La réponse ne saurait être univoque, bien entendu.

Ce cas de figure est si courant que je ne peux pas écrire ce journal sans m'attarder dessus. Ce qui est pesant pour moi c'est le fait de devoir suivre les suggestions des interlocuteurs-habitants, qui en profitent parfois, intéressés par l'emprise qu'ils pourraient exercer sur ma démarche, pour imposer une vision, un parcours. J'aime pouvoir venir et m'en aller librement, arbitrer ce que je garde et ce que je quitte.

La difficulté tient pour moi déjà dans le fait de constater le gâchis diplomatique. Deux forces investissent le souterrain, et elles s'opposent. Le second aspect de la difficulté tient dans les crispations émotionnelles. Les désaccords de principe, les malentendus reconduits font qu'il n'y a pas d'échange possible; que des postions, campées. Or, c'est précisément ce genre d'échange rendu possible en dépit des adversités qui m'intéresse en radio. Adversaires, pas ennemis, je ne sais plus qui disait ça. Quand deux points de vue drastiquement opposés dans leurs besoins discutent (ici écologie scientifique versus spéléologie associative) leurs représentations se négocient. Elles se diluent l'une dans l'autre, parfois elles se déforment, déraillent sauvagement, avec beauté; souvent elles s'adaptent, et une troisième voix naît.

C'est peut-être une énième occurrence de cette lisière dont Pauline parle souvent. « Bordure, partie extrême d'un terrain, d'une région, d'un élément du paysage, en partic., d'une forêt (synon. orée); limite, frontière. » Pour moi, les lisières renverront toujours à cet amour de la zone.

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage

Inondation au lavoir de Frétigney-et-Velloreille
Inondation au lavoir de Frétigney-et-Velloreille
Lisière du dedans et du dehors, inondation au lavoir de Frétigney-et-Velloreille
Lisière du dedans et du dehors, inondation au lavoir de Frétigney-et-Velloreille