arc en ciel au balcon

Qu'une page se tourne ici

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Beaucoup de minutieuses préparations pour aboutir à ce moment où les parents viennent voir "ce que leurs enfants ont fait".

Dans la foulée de l'organisation, on ne sait plus différencier l'urgent du nécessaire, l'indispensable du secondaire. On fait, c'est tout. On meuble l'attente de ce moment angoissant qu'on sait pourtant être un moment  d'enthousiasme à venir.

Beaucoup de parents très intéressés. La mère de Mylie qui me remercie chaudement d'avoir su aider sa fille dyslexique en la mettant à l'aise.

J'ai trop préparé de choses. J'ai voulu que ça soit aussi bien, aussi spectaculaire qu'un gala de danse. Parents assis, strapontins, fauteuil en velours, spectacle, enfants qui saluent, applaudissements, rideau. J'ai fantasmé une restitution millimétrée. Je craignais le malentendu ou le jugement de la part des parents si on ne leur servait pas "un vrai gala de danse". Donc j'ai produit un questionnaire de quasiment 60 questions à remplir par chaque élève et défini un roulement de 3 sessions avec chaque fois trois postes de travail : médiation, plateau-radio, dessin inspiré de ma bibliographie de recherche, questionnaire à remplir. Autant dire que je me suis perdu dans l'organisation. Il faut choisir entre tout diriger et laisser la tutelle se transformer. Avant la restitution finale, alors qu'on a pu se faire la main avec les élèves sur deux personnes venues visiter l'exposition en avance, le midi, je tente une ultime réorganisation pour attribuer des tâches qui conviennent à tout le monde et sont plus pertinentes. C'est un coup dans l'eau ! Ce n'est pas grave, c'est ce genre de comportement où la personne qui enseigne ne fait rien de pédagogique mais se rassure elle-même, et c'est déjà pas mal. J'ai eu besoin de me dire que tout était cadré pour affronter sereinement la situation.

Deux personnes m'ont énervé: une mère qui arrive en avance et me dit j'espère qu'il y aura plus de monde qu'à la réunion de présentation. Et l'autre c'était un élu qui est venu visiter, qui m'a confronté à une erreur dans un contexte déjà tendu.

Il y a eu des personnes mignonnes, revigorantes, plaisantes: les élèves d'abord, qui batifolent. En un instant toute mon organisation s'évapore: il n'y a plus que des enfants qui jouent, comme pour mieux échapper au débarquement de leurs parents. Il y a eu toutes les super filles de mon atelier, je pense spécifiquement à Jade, Adèle, Juline, qui ont eu l'air de se régaler. Je pense aussi à Tom, dont la douceur n'a fait que se renforcer depuis que je l'ai rencontré. J'ai distribué les exemplaires de la vie secrète de Nicolaï en les assortissant d'une dédicace pour personnaliser tout ça. Tom avait l'air ravi de sa dédicace, il est parti sur un petit nuage. Mathéo, emmené par son éducatrice, a négocié vigoureusement, sans succès, pour rester jusqu'à la fin. Devant le portail, cet énorme sourire quand je lui serre la main, un sourire qui pleure, qui crie.

 Valentin, vraiment mignon et adorable, me fait pour la millième fois depuis le début des ateliers un coucou enfantin et innocent avec une bouille de petit écureuil rondouillet. Il est vraiment ému sans oser le dire que je parte, il a insisté de nombreuses fois pour bien avoir sa dédicace sur sa bd.

Morgane et maîtresse Lucille me font de nombreux retours très gentils et attentionnés, qui me font chaud au cœur. Comme plus tôt, maîtresse Stéphanie. Isabelle Seitre, responsable du comité des fêtes de la commune, personnage décisif dans mon réseau fretin, m'a fait le plaisir de venir, et elle est très touchante. Je vois qu'elle s'est défaite de la méfiance compréhensible qui l'accompagnait au moment de notre première rencontre. Elle comprend mieux, grâce à ce qui est exposé, quelles sont mes attentes. Elle est infiniment souriante et je suis heureux de la voir comme ça.

La petite Maloé, habituellement plutôt angoissée, s'est transformée en médiatrice redoutable pleine de confiance. Je suis très heureux de voir que mes efforts ont réussi à instaurer la confiance, en moi et en elle, pour un court laps de temps du moins.

Il y a aussi Martine, Magali, Odile de l'association des arts du fil Les doigts de fée.

Odile est discrète mais elle rayonne, tout comme Martine, un tantinet plus en retrait.

Magali fait un laïus à Maxime, cet élève si dissipé au début que je n'ai pu que m'émerveiller de la qualité de son implication dans la réalisation de la BD. Elle le regarde du haut de sa grande taille en levant son index en l'air, en lui disant : il n'y a que toi qui puisse décider de ta vie future. Tu es libre. Tu peux choisir d'être un artiste si tu le veux. Ça dépend de toi. Malgré l'idéalisme de ses propos, le sérieux avec lequel elle les a prononcé à cet enfant soudain adapté, dans sa timidité, au cadre scolaire, m'a vraiment touché et ému. Il y a des gens qui disent deux phrases en passant cinq minutes dans votre vie et qui vous impressionnent. Elle a ajouté ensuite, car elle avait l'air heureuse, honorée, que j'avais fait un super travail et que ça allait sûrement changer la vie de ces enfants, plus tard.

C'est la fin de création en cours, je n'arrive pas à croire que j'ai fait cette résidence, qu'une page se tourne ici. J'en suis fier, j'ai l'impression qu'il me reste tant à faire. Je suis heureux d'avoir fait ce que j'ai fait comme je l'ai fait; heureux d'avoir eu la chance d'essayer. J'écris cet épilogue sur la terrasse de chez Ginette, dans la nuit noire qui donne sur l'église du village, érigée sur un petit promontoire. Combien de rencontres, de déceptions, combien de préparations, combien d'efforts, de patience, d'ennui, de peur, de détermination, de plaisir, combien de solitude pour enfin y arriver.

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage