Un bout de scotch sur l'institution ?

« The Nadir »

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Des enceintes sur un tracteur

« The Nadir ». Fargo, saison 4, épisode 8.

Pour garantir la paix, un enfant est offert en otage au gang adverse. Adulte, il retrouve sa famille biologique.

Je me suis dit: ce gars revient avec tellement de violence et de folie qu’il va vouloir tuer le chef, son petit frère biologique. 

Et ça se passe presque comme on pense que ça va se passer. Dans ce presque se trouve toute la puissance du scénario.

En effet, le frère qui revient c'est la brute, le taureau, le lion, (comme il se désigne lui-même). Après avoir passablement amoché son frère comme on le pressentait, il prend à partie le gang. Le petit frère, étranglé, soumis, s’apprête à mourir. Il dit: je dois être en train de rêver. Dans une envolée lyrique qui ressemble au discours d'une mise à mort, le bourreau, la brute, l'ancien otage abandonné par les siens, provoque un retournement inespéré. Causé non pas par une résistance de l'autre, mais par un combat, en lui, le retournement advient quand, soudainement, cette brute décide de jurer fidélité à celui qu'il était en train d'écraser. Il reconnaît en cet homme désarmé un stratège, quelqu'un capable de gouverner. À genoux devant sa victime écrabouillée, un sourire enfantin et optimiste légèrement inquiétant animant son visage, ses yeux de psychopathe, habituellement révulsés, luisent d'une adoration touchante. Dans le climat de mort propre à n'importe quel gang, lui, incarnant justement la pulsion de Thanatos (fils de la Nuit et des Ténèbres), profère les mots d’Eros, à qui on attribue la pulsion de vie. La force centripète. La divinité qui « rend manifeste la dualité, la multiplicité incluse dans l'unité » selon Jean-Pierre Vernant, a créé un espace dans l'espace qui rétrécissait.

Cette situation m'a réveillé. On pensait l'épisode fini. Le sort en était jeté. À deux doigts de fermer l'onglet, bloqué dans la destinée filmique, on refusait d'être complice d'une telle platitude. Blasé, on allait s'endormir. Le dérapage, ex-nihilo, créé du temps additionnel. Le temps est-il autre chose que de l’attention ? 

La résidence création en cours se prête bien à cette idée : emmener la proposition là où on ne l’attend pas. Glissement sémantique et de terrain. Quand je demande à Anne Matthaey, intervenante au Centre de Formation pour Plasticien.ne.s Intervenant.e.s, comment garder une sorte de journal de bord des élèves, elle me dit: ne fait pas ça comme un prof, et ça marchera. Je ne prends pas ça comme une critique des professeurs. Je prends ça comme une invitation à faire dérailler, se télescoper les choses.

Il y aurait plusieurs terrains qu’il faudrait faire glisser. La diffusion des production finales de la résidence, notamment sonores: et si on les diffusait dans un contexte inattendu ? Sur des enceintes postés sur un tracteur ? Et si on allait au bout de l’idée de faire de l’hospitalité parlante (des espaces de paroles oppositionnels mais ouverts) en laissant de côté les documentaires sonores sur les gens, les lieux, pour faire du son avec eux ? Et si on mettait juste en place une permanence de la parole dans le centre du village ?

Et si on acceptait de ne pas avoir d’oeuvre finie, mais de restituer par la carte heuristique, la carte aux aléas comme disent les géologues, les pistes et l’itinéraire mental de la recherche, pour donner à voir l’errance et la redondance, mais aussi restituer le nombre de pas dans la quête et l'enquête, et leurs qualités ?

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage

Os dépecé par des chasseurs, Dampierre-lès-Conflans, Haute-Saône
Os dépecé par des chasseurs, Dampierre-lès-Conflans, Haute-Saône

Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.