Vue zénithale du plateau-radio aux trois lapins

Les lapins dialoguent

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Comment avons nous fait aussi facilement un atelier radio au fablab des trois lapins ?

Je m’appelle Louis Moreau-Avila, je suis artiste en résidence dans la commune de Frétigney et Velloreille en Haute-Saône. Recherche territorialisée, « Le sol et le soi » est le nom de la proposition artistique que je porte avec le soutien des Ateliers Médicis. Il s’agit d’étudier, par l’entremise non-exclusive de la parole, du médium radiophonique et du design graphique, comment les milieux et les territoires façonnent l’acte de dire, et inversement. 

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage

Il y a d'abord le feu vert de l'équipe du fablab, dès le samedi 9 : Julie, Norbert, Pauline, Xavier. Merci à euelles pour la confiance, si vite obtenue. Mais c'est le mardi 12 mars dernier que nous commençons.

Improvisation. À 10h environ, tempête de cerveau collaborative : Atilla, Evann, Anne-Lyse et moi avons face à chacun.e d'entre nous une feuille. L'idée est d'ouvrir les sujets possibles pour le plateau-radio que nous ferons en deuxième partie d'après-midi. Au premier tour, chacun.e inscrit une notion plutôt ouverte qui lui tient à coeur. Puis on fait passer notre feuille dans le sens des aiguilles d'une montre. La personne qui reçoit notre feuille interprète la notion que nous avons marqué, ajoute une précision, ou quelque chose à quoi ça lui fait penser. Ça peut être n'importe quoi : une notion proche, une citation, des paroles de chanson, une pensée, un dessin. Je me rends compte que cette ouverture est déstabilisante pour les participant.e.s qui s'attendaient peut-être à un cadre plus strict. Ça m'amuse de le constater, mais iels rebondissent très bien à cette consigne. Lors de la tempête de cerveau, on ne ferme la porte à aucune association d'idée. Il ne faut pas hésiter à écrire des questions pour déjà être dans une optique de problème et non de solution toute faite, car les histoires partent toujours d'un problème.  

Esthétique dialogique

Je connais les lourdeurs d'une préparation trop minutieuse. Cela peut étouffer l'esprit d'initiative, crisper mon attitude, donc celle de mes interlocuteurices. Je préfère laisser du mouvement. Cela demande d'accepter les temps morts et le délai nécessaire pour rebondir quand les stagiaires ne sont pas réceptifs à la direction que j'appuie. Cela demande aussi de louvoyer entre diriger et écouter les demandes. Il faut de toute façon toujours accepter quand ça ne marche pas comme on veut. C'est un « évènement ». J'aime le prendre comme ça, ça m'aide à ne pas en faire un truc personnel. Un évènement, c'est par exemple quand Evann, Atilla et Mickaël doivent orchestrer un temps de question et que ça ne fonctionne pas, peu importe la raison. Sur le coup, on peut se dire, mince, ça fonctionne pas, ou juste s'énerver. Mais si quelque chose a bloqué, qu'ils ont l'honnêteté de le dire c'est génial. Donc on en parle. J'essaie de leur faire comprendre que ce n'est pas grave. Au contraire, c'est très intéressant. Que s'est-il passé ? Quelles leçons peut-on en tirer ? Etc. 

Je savais que le terrain était plutôt favorable : toustes les stagiaires sont super sympa, il y a une très bonne ambiance. Et surtout, j'ai trouvé qu'iels étaient très volontaires et curieu.x.ses, ce qui est la base d'un bon atelier. Sans ça, on ne va pas très loin, comme un feu avec du bois humide. Les discussions avec Atilla que nous avons eu très spontanément dès mon arrivée le vendredi, avec Evann légèrement plus en retrait mais tout aussi pertinent, m'ont laissé présager de grandes qualités pour ce qu'on peut nommer une esthétique du dialogue, qui pour moi préside souvent à de très beaux moments radiophoniques.

Depuis un problème

Cette façon d'associer en groupe des pensées, sans jugement, spontanément, ça permet à tout le monde de mettre la main à la pâte. Nous sommes toustes devant notre feuille : le même droit et la même responsabilité de réagir à l'état de la feuille qui nous est parvenue nous incombe à toustes. Cette situation de réciprocité des tâches, le fait d'écrire, assis.e, de devoir prêter attention aux signes écrits par les autres, tout cela nous amène à nous concentrer.

Quand les feuilles sont bien saturées, on peut aller un cran plus loin en partant des quatre premières notions écrites au départ. Cette fois, on va essayer d'écrire les contraire, d'exprimer des intérêts contradictoires, opposés à ceux exprimé durant le premier tour. Cela participe encore une fois de cette idée d'avoir de la controverse, du polémique et du nuancé pour discuter depuis un problème.

L'après-midi, je sens que tout le monde est nerveux à l'idée de passer au plateau-radio. Je suis nerveux aussi. La pause du repas est venue disperser les attentions, qu'il faut rassembler. J'ai envie que tout le monde passe un bon moment et je ne sais pas si l'activité va être appréciée. J'ai peur que la radio que j'aime, ce qui me plaît dans cette activité, ne les touche pas.

Savoir du soin

C'est sur un temps de problématisation à partir des écritures automatiques du matin qu'on commence l'après-midi. Malheureusement, je sens que l'étape tourne court, parce qu'elle est superflue : tout le monde a compris ce que je leur explique depuis la fin de matinée, et iels tournent en rond, sans protester d'ailleurs. Je choisis de passer au plus vite devant les micros. Nous montons le plateau-radio ensemble, c'est cool que le matériel soit manipulable et que le processus d'installation se fasse avec les participant.e.s pour gommer l'aspect magique de la technique et des engins utilisés.

Avant de débuter les conversations enregistrées, on part sur plusieurs respirations et mouvements pour détendre le corps. Je précise que chacun fait avec son corps du moment; on fait au mieux, comme on peut. On enchaîne sur un exercice de méditation de pleine conscience, guidé par mes soins. Je ne sais pas du tout ce que ressentent les participant.e.s qui sont quand même assez concentré.e.s. Je sais d'expérience que c'est toujours sympa comme moment, que ça pemet de se connecter, à soi, mais aussi aux autres et notamment à moi, ça me sort de la posture masculine d'autorité pour me mettre dans une posture certes de savoir mais de savoir du soin.

Le plateau-radio débute, j'octroie à Inès, qui nous a rejoint en cours de route, le rôle précieux d'animer l'échange. L'alchimie est là. Il faut bien reconnaître le talent d'Inès pour dynamiser, faire circuler la parole, accentuer, bousculer parfois la discussion. Elle est très douée dans cet art qu'il n'est pas si commun de maîtriser aussi naturellement ! Mais le groupe dans son ensemble a aussi un équilibre qui ne sera pas forcément aussi puissant quand nous passerons aux demi-groupes le lendemain. J'écoute le plateau-radio en m'effaçant, intervenant de temps en temps. Je ne peux qu'applaudir quand on clôture l'enregistrement ! Tout le monde a fait de son mieux, le stress initial a quasiment disparu, les bonnes volontés ont complètement pris le dessus, et ça se sent. Je suis content !

Le lendemain matin, ce sera l'occasion de découvrir les micros à main qui servent à capter des ambiances, contrairement aux micros utilisés pour le plateau-radio. J'ai choisi de diviser le groupe en deux pour susciter d'autres dynamiques. Atilla se confronte à la difficulté de formuler une question riche et complexe à un interlocuteur timide. Il voit les compromis relationnels mais aussi verbaux que demande l'acte d'interviewer quelqu'un. On amorce l'écoute d'un podcast sur arte radio, et il est déjà l'heure de faire mes affaires ! Merci à Anne-Lyse, Atilla, Evann, Gabin, Inès, Mickaël pour leur participation !

Toutes les images de cet article sont de Pauline Desgrandchamp. Merci à elle !

Une feuille issue de la tempête de cerveau collaborative
Une feuille issue de la tempête de cerveau collaborative
Débuts de l'atelier avec de g. à dr. Evann, Anne-Lyse, Atilla et moi
Débuts de l'atelier avec de g. à dr. Evann, Anne-Lyse, Atilla et moi
Vue de la tempête de cerveau à huit mains
Vue de la tempête de cerveau à huit mains
Plateau-radio en cours aux trois lapins
Plateau-radio en cours aux trois lapins