Paix sur la plaine
Le jour et la nuit: c'est la différence de comportement des élèves entre l'atelier d'hier et aujourd'hui. Hier, je me suis égosillé. Aujourd'hui, les élèves de CM1/CM2 de l'école Clara Balland, divisés en demi-groupes, ont réussi l'inespéré. L'inattendu, un exploit, une ascension, un trophée, une médaille. Ils ont réussi à être calmes.
Que s'est-il passé ? J'ai ruminé. Je ne me voyais pas passer une autre journée à faire le policier. J'ai donc préparé attentivement la séance. Démarrer avec un tableau de bord clair et précis. Une liste pour les éléments à ne pas oublier. L'ordre des choses à aborder. L'enceinte chargée. Le téléphone. Les papiers. Quand les élèves sont entrés, je les ai accueilli. Disposé à les entendre, attentif à tout va. Je n'ai pas parlé trop fort. Je n'ai pas parlé trop vite. J'ai octroyé à ma parole le privilège de la rareté, ce qui revient à montrer qu'on se fie à leur capacité à nous comprendre, qu'on les respecte. Economiser leur attention. Parler moins, parler bas, parler doux, peu. Ça semble évident, mais non: c'est exactement ce qui calme. Sans négliger les GROS COUPS DE PRESSION NÉCESSAIRES quand ça dérape trop. Je me suis rendu compte que ce qui excitait les enfants, c'était que j'étais tendu, acculé dans ce que je ne m'avouais pas être une démonstration de force. Ça les rendait nerveux, ça les agitait. Leur électricité allait plus vite que la mienne, et quand j'haussais le ton pour les recadrer, j'étais un peu comme quelqu'un qui s'efforce à courir aussi vite qu'une balle de foot qui fend l'air. Je voyais mes efforts de policier payer peu. J'ai essayé une méditation de pleine conscience guidée assise, sur la base des nombreuses que je fais souvent depuis trois ans déjà.
« Si vous trouvez le monde fatigant, à tout moment de la journée vous pouvez revenir à votre souffle; car il ne vous quittera jamais, il est votre maison ». On dirait un verset biblique comme ça. Mais en fait c'est juste un constat. Cet phrase que j'énonce durant la méditation soulève chez Pierre (prénom changé) une question : et si on est triste ça marche aussi ? Qu'un garçon aussi énergique et apparemment plein de vigueur exprime en groupe, certes, yeux fermés, son chagrin, ça m'a scotché. Comme je sais qu'il vit des choses compliquées dans sa famille, je sais d'où vient sa bougeotte. Je lui ai proposé dessiner, plutôt que de trépigner. Le résultat est magique. Méconnaissable. Il fond dans son dessin, discret et méticuleux, comme les feuilles d'automnes rejoignent silencieusement le sol. Il ne déborde plus du tout. Ce superbe écran de papier est enveloppant et remplissant comme une grosse couette d'hiver.
Dans le récit de méditation, je m'inclus. Louis est là, vous êtes en sécurité ici, vos besoins peuvent être entendus, venez me dire s'il vous manque quelque chose. J'ajoute à ce droit le devoir de respecter le cadre de calme et de silence. Ils choisissent dans leur tête une intention pour la journée. Ils rient parfois, quand j'imite le bruit de la cloche finale. Ils rient parce qu'ils sont gênés qu'on prenne le temps de faire attention à eux, ils sont gênés parce qu'ils se rendent compte que oui, ils en ont besoin. Je prends ce rire comme un aveu de faiblesse tout à fait honorable. Je prends ce rire comme la démonstration du bien-fondé de ma démarche, préoccupée par ce silence, et ce qu'il instaure entre les élèves et moi, entre eux, chez eux. Mais les rires débordants, je les interromps. Le rire est une critique indirecte, qui n'est pas forcément adressée à moi, peut-être simplement à eux. Leur masque leur interdit de participer à ce souffle, jugeant l'exercice incompatible avec leur identité sociale. Là, je censure la censure, pour qu'au moins les personnes qui ont été embarquées dans la méditation puissent en profiter. Je suis vraiment très étonné que ça ait si bien marché. Je ne pensais pas que ça les calmerait autant.
C'est en écoutant la maîtresse souligner qu'aujourd'hui les enfants ne sont plus concentrés comme jadis que je me suis dit qu'il fallait bien essayer de voir comment y remédier. Sa remarque est vraiment juste je pense, je la rejoins. Mais les comportements des enfants ne sont-ils pas la réplique de leurs modèles adultes ? Bien sûr, les adultes devraient se détendre. Peut-être ces élèves le leur apprendront.
Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.
« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.