Panneau, non loin de Frétigney et Velloreille

Vers un lieu imaginaire

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

J'ai ignoré pendant mes études dans une école d'art contemporain qu'un artiste plasticien doit produire des formes plastiques. Entendez: des œuvres d'art empreintes de l'éthique de la démesure et du potlach. Je voulais m'en exempter. Frileux d'un changement, je me cantonnais à mon savoir de dessinateur. Je peinais à mettre en place ce drôle de savoir que mon BTS en design graphique m'avait appris : le savoir du livre. Jusqu'au jour où j'ai décidé de réaliser une édition à partir de mes carnets de voyage d'Espagne. D'un coup, l'aspect brut et trivial du journal de bord, bref tout mon savoir de dessinateur, scribe, consignateur, rapporteur, se muait en une forme complexe de mise en page et surtout, dans un volume nouveau (livresque), quasiment muséal d'ailleurs, naissait un volume-espace, que la responsable de l'atelier sérigraphie m'aida gentiment à façonner. Je vis immédiatement le regard ennuyé et blasé de mes enseignants se transformer, eux qui jugeaient mon cas désespéré. Ils dévisagèrent cet ouvrage, mus par un étonnement méfiant et amusé, découvrant chez cet élève lent et têtu une perspective inattendue.

J'étais en colère contre le monde de l'art auxquelles les études supérieures m'avaient fait accéder. Je le trouvais pédant, arrogant, futile, stupide, imbus de lui-même, renfermé. Je me sentais coupable de réfléchir aux formes demandées pour y être adoubé. Il était bien trop différent de mes cours de dessin d'adolescent, à l'académie des Peintres de l'Abbaye, en banlieue parisienne. Ce nom bucolique servait d'étiquette à un club de mamies peintres du dimanche, fascinées par le musée du Louvre et le jeune dessinateur que j'étais. Je me gavais de gâteaux et de compliments du troisième âge, fignolant ma copie au crayon des prisons de Piranèse, des chevaux de Stubb, de tel palais anglais. Fabrice, le professeur, manifestait énormément d'attention à mon égard. Monsieur aux cheveux grisonnants, grand et élégant, son rire caverneux emplissait l'espace et m'enveloppait dans cette écho puissant, adorable et communicatif, d'une Castafiore du rire. Il était dans mon imaginaire d'enfant un vieux garçon, bien qu'aujourd'hui j'imagine qu'il ait aimé peut-être les hommes sans se le dire. Il prenait un malin plaisir à m'aider à "recopier mon modèle", venant me voir plusieurs fois pendant les quatre heures du cours. C'était le prétexte, pour se répandre en légendes, en commentaires, en savoirs culturels qu'il me partageait avec une finesse sans égale, tout en me partageant ses astucieuses techniques de dessinateur. L'ovoïde, forme première de toute ébauche, était pour lui le miroir du monde, et sa connaissance, un passage vers l'Encyclopédie. L'éternel dessin donna lieu à bien des moments d'affectueuse transmission, derrière la grande verrière qui ornait le dernier étage d'un bâtiment à l'escalier vermoulu et à l'odeur de térébenthine, sur les contreforts du parc Meissonnier, de l'atelier des Peintres de l'Abbaye.

Une fois embarqué dans les études supérieures, j'avais laissé derrière moi les mamies, les gâteaux. Fabrice, l'énorme cèdre dont les valeurs de noir m'obsédaient tellement, sorte d'arbre aux facettes de bijou qui ombrageait l'atelier, tout cela me manquait. Je recherchais des repères dans cette école lavée à l'eau de javel en plein cœur de Paris. J'observais avec stupeur le soin qu'avaient les étudiants de leur apparence. Le prix de leurs vêtements. Leur conformisme aussi, leur bête conformisme d'ignorance. Pas même un conformisme de parvenu, un conformisme de celui qui n'est jamais sorti de chez lui oui qui est trop convaincu du bien-fondé de sa personne. Paradoxalement, je me retrouvais seul parmi des gens qui me ressemblaient, car tous ces étudiants soignés et élégants me ressemblaient; ça me paralysa, moi qui avais toujours lutté pour être différent. Je trouvais de la chaleur, un substitut au sevrage né de cette transition abrupte, auprès d'enseignants assez investis et curieux pour aller dégoter quelque chose derrière ma timidité, ma pudeur. Madame Valleran fut de ces professeurs qui ont l'air de vous comprendre pour qui vous êtes. Une fois l'épure de mes vieux repères entamée, je sentais que ce monde m'était étranger et une grande envie de fuir se répandait en moi. Je ne pensais pas pouvoir subvertir ce monde bourgeois des jolies choses car je ne le comprenais plus. Mais une envie, une obstination demeurait. J'étais coincé, falaise d'une trop grande exigence, vieux serment à moi-même, par la peur de devenir un façonneur de marchandises, par la peur de ne pas être là où il faut, dans un monde étranger.

Quatre ans après avoir obtenu mon diplôme en art contemporain, ces lignes me réjouissent car elles me montrent que j'ai évolué. Sans perdre mon esprit critique, j'ai appris à composer, à voir autrement ce monde de l'art qui me repoussait tant. Voilà où se trouve ma recherche plastique aujourd'hui, dans le cadre de cette résidence.

Dispositif de co-création : Vers un lieu imaginaire. Je pars d'un questionnaire où je demande aux habitants de la commune rurale de Frétigney de me décrire un lieu imaginaire qui enrichirait leur quotidien, l'améliorerait. Le questionnaire demande de décrire assez précisément un lieu imaginaire. L'idée est de voir ce qui anime réellement la personne derrière sa description d'un lieu imaginaire. Puis, je produis des sortes de pages wikipédia à propos de ces lieux inventés. J'en dessine les plans, je donne forme aux caractéristiques physiques. Après avoir récolté un nombre important de questionnaires, je procède à un vote pour choisir quel lieu sera indiqué avec une notice explicative, via des panneaux de signalisation habituels, dans l'espace public.

Je me suis muni d'une urne électorale utilisée habituellement en mairie, à utiliser pendant mes ateliers de transmission à l'école. Je ne sais pas encore comment.

J'effectue une série de dessins à l'encre de chine. C'est une méditation sur le paysage. J'assemble 4 types d'éléments graphiques (spirales, lignes droites, sinueuses, angles cassés) en réfléchissant à leur entrelacement. C'est une mise en pratique sensible de la mésologie dont parle Augustin Berque. 

Ce journal de bord fait également partie des formes que prend la recherche. à l'état de document en ligne, il constitue une porte ouverte permanente sur mon processus de création, c'est mon atelier dématérialisé. Je vais penser sa mise en forme finale en tant que livre, mais aussi en tant qu'objet plastique. Je pense à imprimer ces textes sur des rideaux ou sur des très grandes feuilles au traceur, pour que les textes sectionnent l'espace dans lequel ils sont exposés. 

J'ai commencé à enregistrer des paroles usagères (micro-trottoirs au vide-grenier, entretien avec la représentante d'une association de protection du milieu souterrain). Je veux éviter l'écueil d'un récit sonore qui juxtapose linéairement les paroles de tout un village, sans les articuler, sans les confronter. Je laisse un peu cette piste de côté pour le moment au profit des autres. Une œuvre sonore verra peut-être le jour.  

Qualifier le nom

Plutôt culmont chalindrey -> toponymie vernaculaire

Nom à consonance latine ?

Allemande ?

Italienne ?

Espagnole ?

Arabe ?

Internationale, mondiale ?

Donner des éléments de toponymie locales pour que ça s’inscrive dans un cadre réel :

Oreille

Velle

Bonne

Suffixes: oul çon lot illey noche ray noz chaux lay rioz lot rive

Préfixes: Dam Font Magn Quen Penne Oise Re Auto Noi Lou Ver haute mala

Radical: Cologne Guindry blesse motte champ bozon frans

Quel âge a le nom ?

Quel intérêt a le lieu décrit ?

Archéologique convivial médical touristique festif mémoriel historique fantastique légendaire

Quelle est son histoire ?

Pourquoi ne pouvons nous plus avoir accès à lui ?

Dans quel direction se trouve-t-il ? Ou placer le panneau qui indique son chemin illusoire ?

https://fr.wikipedia.org/wiki/Id%C3%A9ogramme_routier_en_France

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_Rue

https://fr.wikipedia.org/wiki/Odonymie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Toponymie

Artiste en résidence à Frétigney en Haute-Saône, Louis Moreau-Ávila
produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage