Mon chat s'appelle Laitue
Entre autres, Le sol et le soi était supposé interroger les rapports multiples à l'écologie.
Les oubliettes, le projet dans sa forme précédente, abordait frontalement la nécessité de réenchanter les luttes par la production de nouveaux récits écologiques. Ce n'est pas l'élue écologiste de l'eurométropole de Strasbourg, enthousiaste de ma présentation dans le cadre d'une demande de financement, qui allait m'empêcher de prêcher sa paroisse.
Mais c'est toujours le même problème: comment questionner une notion aussi médiatisée et, en fin de compte, aussi vague que l'écologie, sans sombrer dans l'écueil des discours artificiels ? Un tel terme, appelant des stéréotypes qui ne révèlent pas les usages, ne m'intéresse pas. La notion galvaudée ne porte sur rien; quelqu'un qui essaie de décrire son lien avec elle a des propos désincarnés. La malice humaine meurt.
De tels propos ne m'intéressent pas. Ils ne réenchanteront rien. « Et toi pour quoi tu aimes l'écologie ? » dit l'animateur de telle émission socio-culturelle, dont le gentil parti-pris, campé dans cette flaque idéologique sans forme ni intérêt, manque d'audace. Il pose cette question, il pourrait la poser à n'importe qui, et la réponse est déjà induite, sans surprise, sans dérapage possible. On ne sait pas qui répond, puisque personne ne répond jamais vraiment avec ses tripes à ce genre de question dans ce genre de contexte. Aucune singularité ne peut émerger. La question a phagocyté la réponse.
La personne aura sans doute répondu: « Oui j'adore aller marcher en forêt et puis mon chat s'appelle laitue. » La question effectue un clivage implicite, entre ceux qui seraient pour ou contre l'écologie. Or, et c'est ce qui est dommage, même si elle est dans les faits passionnée d'écologie, il y a peu de chances que la personne réponde de façon originale à une question aussi frontale, lapidaire.
Je ne parle donc pas comme ça d'écologie. L'étude des pratiques, surtout quand elle concerne ces notions abstraites, ne se fait pas immédiatement car les pratiques ne se livrent pas, comme une chose tangible, comme un banc par exemple. Nous sommes séparé de cette étude par une rivière. Il faut trouver les gués vers la notion, vers la pratique que les gens ont ou pas. Les passages demandent de jeter l'interrogation attendue qui active le pilote automatique chez les personnes qui l'entendent. Voilà un exemple de tentative de brèche : dans votre âme d'enfant, ou en vous basant sur votre passion la plus secrète et la plus folle, y aurait-il un lieu imaginaire que vous aimeriez avoir à Frétigney ? Qu'y feriez-vous ? Comment se nommerait-il ? Ici la question, par l'intermédiaire de l'affabulation, permet de parler réellement de son rapport à son cadre de vie.
Je me rends compte que je perpétue le même mode opératoire qu'à HTP radio, où l'écologie n'était pas une question de premier ordre, mais où la notion imprégnait de la plus impérieuse des façons les enquêtes que nous menions, dans une optique co-créative, avec les habitants.
Pratiquer ces gués poétiques demande de cultiver l'amour du jeu et le jeu du mot. Les esprits rieurs et détendus, indulgents avec eux-mêmes, seront les plus habiles pour saisir l'opportunité d'expression qu'un tel type de question ouvre.
Artiste en résidence dans la commune de Frétigney et Velloreille en Haute-Saône,
Louis Moreau-Ávila produit des récits et des œuvres en s'entretenant avec les habitant·e·s du village.
« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage