Le vif du sujet 1 – CICATRICES 23.III.18 et 30.III.18

Le vif du sujet 1 – CICATRICES 23.III.18 et 30.III.18

Publié par Delfine Guy


J'ai insisté pour que nous gardions pied dans la réalité. Pas de cicatrices inventées ni contrefaites ! Il s'agit de réfléchir sur le plan personnel, de fouiller dans sa mémoire, d'observer sa propre image. Et il se trouve en effet que, dans les deux classes, les enfants sont nombreux à arborer au visage, à l'avant-bras ou en dessous du genou, une à plusieurs cicatrices.

Certaines sont le résultat d'un accident (chute, liquide bouillant, mauvaise manipulation d'un objet ou d'une machine, etc.), d'autres sont le fait d'une attaque, soit d'un autre humain, soit d'un animal (jet de pierres, morsures, coup porté, etc.), ou encore elles montrent qu'une maladie a fait des ravages (varicelle, problèmes au cœur, aux poumons, etc.).

La plupart des blessures ont nécessité une intervention à l'hôpital, des points de suture. Parfois, elles ont provoqué la vue du sang pour la première fois.

Dans un premier temps – le 23 mars – nous avons fait table ronde. J'ai tranquillement collecté les témoignages des enfants, après quoi j'ai photographié chacun comme il le souhaitait. Du simple portrait à la mise en scène du moment clef, c'est-à-dire l'avènement de la blessure qui se transformera en cicatrice.

Au-delà de cet assemblage de récits variés, je souhaitais que les enfants puissent réfléchir à ce que le fait de porter aussi manifestement une cicatrice avait changé pour eux. Est-ce qu'une peur coriace, des chiens ou des chevaux par exemple, avait fait surface ? Est-ce qu'une méfiance à l'égard du petit frère pris d'un accès de violence ou de la cousine un peu trop tempétueuse s'était étendue à d'autres personnes ? Une fois qu'on s'est blessé avec une lame, peut-on se servir de ciseaux, de couteaux sans appréhension ?

Est-ce qu'on se souvient de ce que ressentent nos parents, tandis qu'ils tentent de limiter les dégâts, de nous soigner du mieux qu'ils peuvent en attendant de passer le seuil des urgences ? Autant de questions qui remuent, quand bien même l'accident ou l'incident date de plusieurs années.

A force de raconter, les enfants s'aperçoivent que leur corps possède une mémoire bien à lui. Comme des "grands", ils parlent déjà d'un passé révolu, tirent une sagesse de leurs expériences.

Le 30 mars, j'invite les enfants à dessiner sur du papier kraft le moment où tout a basculé, pas forcément comme il s'est produit, mais tel qu'ils l'ont ressenti. Le chien était-il un monstre ? le tracteur une machine de science-fiction ? le caillou un rocher ?

Une manière d'affirmer sa vision, sa perception, ses sensations. En sachant qu'elles ne correspondent pas toujours à ce que pensent les autres.

L'histoire particulière d'Emma - Quand les poumons racontent les saisons

"Comment dire ça ? Moi, c'est les poumons. A cinq ans, j'ai eu une maladie. J'ai beaucoup toussé, je vomissais, j'avais mal. Maman a des visions. Elle a su que c'était mes poumons. On est allées voir un pédiatre qui a demandé une radio. Cette maladie porte un nom bizarre : foyer pulmonaire. Depuis, chaque année je ne vais pas bien durant tout l'hiver. J'ai mal, je tousse. Je respire mal. Je ne peux pas faire de sport. Je suis très fatiguée. Je mange beaucoup. Plus je grandis, plus c'est fort. Mais à chaque fois que j'en sors, je revis. Je nage, je cours, je fais du vélo. Je joue avec les autres."

Léa, son petit frère et le chien

"On faisait le grand ménage à la maison. Avec mon petit frère, on écoutait mon MP3, et Thomas a mis l'écouteur dans l'oreille du chien. Celui-ci a mal réagi et s'est mis à me mordre. Maman pleurait. Je ne sentais rien. Mais il fallait aller à l'hôpital. On m'a recousue. Je devais avoir cinq ans et j'ai eu 7 fils : 2 à l'oeil, 2 sur le nez, 1 sur la joue, 1 sur la bouche, l'autre, je ne sais plus. Je hurlais. A la maison, toute ma famille m'attendait. Je suis restée longtemps à la maison. Souvent, les gens me parlent de mes cicatrices. Les nouveaux, à l'école. Moi, je me suis habituée."

Axel, futur tatoué

"Quand j'étais petit, je me suis renversé une tasse de café bouillant sur le torse et le bras gauche. Brûlure au troisième degré. J'avais un an. Arrivé à l'âge de cinq ans, je n'aimais pas mes cicatrices. Elles faisaient encore mal. Comme ma sœur s'appelle Alexya, je voudrais bien faire tatouer son prénom autour de ma cicatrice en forme de Y. Le A du début serait aussi le A final."

Théo et celui qui lui a jeté la pierre

"Quand j'avais cinq ans, en famille on est allés se promener au bord du canal. Mon frère jetait des cailloux dans l'eau. Malgré les mises en garde de ma mère, mon frère a continué et m'a jeté une pierre. J'ai une cicatrice dans les cheveux. Depuis, je ne fais plus confiance à mon grand frère qui a 9 ans de plus que moi."
Et d'autres drames - sans les mots - en images