Puissante invitation au voyage, l’île apparaît tel un lieu paradisiaque, jardin immaculé où s’écoule une vie facile avec ses rivages ensoleillés, entre récifs coralliens et plages de sable bordées de cocotiers. Le désir de rivages idylliques est pourtant le résultat d’une production de la culture occidentale, dont les sociétés industrialisées entretiennent le fantasme d’un retour à une nature édénique. Extrêmement prisée par les touristes, la Corse correspond au concept de « Pleasure Periphery » dont la singularité des espaces et des traditions est trop souvent négligée en raison de la vigueur des représentations fantasmées. Dans la lignée de mon projet « Placebo Landscape », il s’agira de questionner, par la photographie, la réappropriation d’images et l’installation, ces représentations stéréotypées et leur déconnexion avec la culture locale. En travaillant à partir d’images issues du circuit touristique, prélevées sur
internet ou bien de ma propre production, il s’agira de déplacer les regards pour une réappropriation locale des imaginaires.
« Joyau » de la France, destination touristique extrêmement prisée, la Corse correspond à la définition de « Pleasure Periphery » dont la singularité des espaces et des traditions est trop souvent négligée en raison de la vigueur des représentations fantasmées. Si, comme la Sardaigne voisine, la Corse a longtemps été une « île oubliée », représentant « une Méditerranée brute, muette et solitaire », la meilleure desserte maritime et l’accélération du processus d’intégration de l’île à l’espace français sous le Second Empire ont permis à des visiteurs français et britanniques de s’approprier les imaginaires qui entourent l’île de beauté. En associant images littéraires et grands récits de voyageurs, l’image touristique de la Corse s’est progressivement construite, illustrant les premiers guides touristiques qui valorisent tour à tour la beauté des paysages sauvages méditerranéens et le peuple montagnard, vigoureux et épris de liberté.
Relationnel tourmenté et conflictuel à la problématique touristique, la société corse poursuit un combat schizophréne entre la revendication de spécificités locales indéniables et la volonté de correspondre le mieux possible à l’image littéraire et touristique construite par les voyageurs continentaux afin de rester attractive. Le rapport de force réalité-image tant alors à s’inverser. Régis Debray note ainsi: « Contournant l’opposition de l’être et du paraître, du semblant et du réel, l’image n’a plus à mimer un réel extérieur, puisque c’est le produit réel qui devra l’imiter, elle, pour exister. Le «re» de représentation saute, au point d’aboutissement de la longue métamorphose où les choses déjà apparaissaient de plus en plus comme les pâles copies des images ».
Dans la lignée de mon travail Placebo Landscape, débuté en 2014 dans le cadre d’une résidence de six mois en Finlande, je souhaite aujourd’hui poursuivre cette recherche en étant directement sur les lieux réceptacles de ces représentations fantasmées. Par le vocabulaire de la photographie, de la réappropriation d’images, et de l’installation, il s’agira ainsi de questionner l’irréalisme de ces représentations stéréotypées et leur déconnexion avec la culture locale. Comment les habitants de l’« île de beauté » appréhendent-ils la notion de paysage, au delà des préconçus touristiques ? Comment vivent-ils les attentes balisées du tourisme de masse envers leur territoire ? Sorte de contrechamps des imaginaires touristiques, les différents ateliers menés dans le cadre de cette résidence seront l’occasion de réfléchir ensemble à la construction de ces représentations et de proposer une réappropriation locale des imaginaires.
Par le(s) artiste(s)