« La mer et le père », c’est le récit imagé d’un homme de la mer, mais aussi d’une filiation. Ce projet pluridisciplinaire retrace une quête identitaire qui est le fondement de ma démarche artistique. Il prend sa source dans les rencontres que j’ai faites et que je ferais, constituant ainsi une collection de récits sonores et écrits comme base de création. Aller écouter la mémoire des anciens et imaginer le futur avec les jeunes générations, c’est avant tout tisser du lien social et c’est le but de ce projet. La nature est également au centre de ces échanges, à la fois pour sensibiliser, mais surtout pour nous relier à notre universalité. Photographier des petits riens du quotidien, empreintes, dessins, petits objets sculptés donneront corps à une installation immersive, finalité de cette résidence de création. Je travaille sur la migration de la forme, de l’image et porte donc mon intérêt sur la migration de l’homme et du récit, d’autant plus sensibilisée par l'actualité.
Origine du projet : Je viens d’une petite ville littorale qui, à une époque, tenait son identité et sa renommée de son célèbre chantier naval et plus tard de sa criée aux poissons. Ceux-ci ont été des lieux de rassemblements ; des points migratoires ayant attirés des ouvriers d’ici et d’ailleurs pour construire de grands navires et vivre de la pêche. Mon arrière grand-père, mes grands oncles ont travaillé sur ces chantiers et mon grand-père maternel a lui aussi débuté sa jeune carrière en étant soudeur sur ces bateaux. Finissant par embarquer sur ceux-ci pour aller construire des bassins à pétrole par delà le monde. Revenant chargé d’objets, de photographies et d’histoires à nous raconter. J’ai entendu cette mémoire être entretenue par bons nombres d’anciens de la ville dès l’école primaire, si ce n’est plus tôt d’après mes flous souvenirs. En effet tenant à ce patrimoine, la ville de Port de bouc avait mis l’accent sur cette transmission faisant d’elle un support important de notre programme scolaire. Bercée par ces contes et souvent associée à une figure masculine ouvrière, cette transmission orale a été intégrée à mon identité, y forgeant un ensemble de mythes ; que je cherche à exploiter dans ce projet. Mais Roland Barthes s'interroge: « qu’est ce qu’un mythe aujourd’hui ? ». En donnant aussitôt une première réponse simple : « le mythe est une parole …». Parole, discours, fiction, finalement admis dans notre langue au XIXème siècle, comme un « récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine ». Dans cette quête entreprise autour de mon identité et au delà de l’identité d’une ville (mon enracinement), je m’attache à cette figure du « passeur ». Le passeur au sens large et aussi connoté soit-il aujourd’hui. Celui qui transporte, qui fait franchir des obstacles, des frontières, passeur d’image, un transmetteur, semeur de graines… Ce personnage que j’imagine donc masculin, sorte de « griot », entremêle fiction et vérité à la fois pour prévenir, socialiser, tout en conservant la mémoire de ceux qui ont fabriqué, de ceux qui ont voyagé, de ceux qui ne sont pas revenus... J'ai toujours été fascinée par le récit de la construction de ces géants de fer, coques protectrices ou parfois dangereuses qui transportaient des objets, des denrées, des hommes et surtout des histoires. La mer était alors une toile de fond, un personnage à elle toute seule, avec tout ce qu’elle charrie d’imaginaire et de rebus. Dans l'inconscient collectif, elle est associée au départ, à l’échange, à l’abandon, à la migration, à une Odyssée et au bout ; une Terre promise, malheureusement si peu, une terre d’accueil. La mer est tellement dans mes gênes, que pendant toutes mes études supérieures, j'ai travaillé week-end et vacances en tant que poissonnière. Récupérant ainsi écailles, carcasses et autres coquilles, ce qui me rendit sensible aux éléments naturels que je finis part intégrer de plus en plus dans mes œuvres. Mon médium principal est avant tout l’expérience sensible. Il s’agit pour moi d’emprunter à mon environnement et d’en garder des empreintes. Hybridant diverses techniques,mes œuvres se déploient de façon à envahir l’espace, à immerger le spectateur. L’espace d’exposition est abordé comme un petit théâtre du monde. A travers l’installation, je crée des univers qui donnent corps à mes récits; pas dans le but d’illustrer mais bien pour évoquer. Privilégiant l’in situ, je me nourris des lieux, des rencontres… Je m’intéresse autant à l’aspect sensible de la rencontre avec l’humain qu’à la plasticité, la matérialité de la confrontation avec le réel, la nature, la quotidienneté… De plus en plus je tends vers une esthétique japonaise nommée wabi-sabi. Bien que sa définition soit complexe et explicitement floue, il s’agit dans son acception la plus large d’un mode de vie, dans la plus étroite, d’un type particulier de beauté. Le Wabi-sabi c’est « la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes. C’est la beauté des choses atypiques ». Ainsi pendant cette résidence j’aurais à cœur de découvrir, de déplier cette figure du passeur que je vois aujourd’hui masculine. Serait-elle féminine ? Est-ce dorénavant le fils, la fille, le petit fils de ... ? Qu’il soit idem de cette vision de la mer et des mythes qui y sont liés. Cette résidence, c'est un peu se repencher sur la figure de Télémaque, fils d’Ulysse, qui s’est senti porteur des valeurs en l’absence de son père et qui a dû aller au bout de l’histoire de ses parents pour construire la sienne. Savoir d'où l'on vient, c'est s'enraciner. Ainsi, on peut aller voyager et mieux revenir. A cette évocation, j'aperçois au loin l'olivier, arbre emblématique de ma Provence natale. Ce sont ces racines qui lui permettent son développement, son caractère transversal. L'écrivain calabrais Giuseppe Gironda écrit : "Quand (le vent) court entre les branches de l'olivier, il fait un bruit semblable à celui de la mer, des vagues!". L'olivier et la mer sont proches, ils se côtoient dans ces paysages et dans mon imaginaire. L'olivier est mon phare, il me rappelle lui aussi d'où je viens et symbolise à bien des égards la famille. Les fruits qu'il porte, sont ses enfants et chacun donne une saveur différente selon sa maturité à l'huile dorée que l'on extrait. Trouver une ville d’accueil qui fait face à une autre mer que la mienne, ce serait comparer et éprouver les différences de point de vue et de récits sous de nouvelles formes. Accompagnée de mon dictaphone dans mes déambulations, je constituerais en premier lieu, une banque de donnée sonore. « Racontes moi d’où tu viens … » « Racontes moi ta mer, tes pères… » comme accroche pour créer du lien social. L’art devient alors une passerelle, il permet la mobilité, le passage d’où mon engouement pour cette résidence qui mêle création et transmission. Une transmission de savoir, de technique, mais avant tout une base de réflexion qui a pour but d’éveiller l’esprit critique des générations futures. A travers mon travail pluridisciplinaire, je développe depuis quelques années une pratique de dessin en volume grâce à un outil de bricolage: le pistolet à colle. Ce procédé détourné est devenu une technique d’empreinte puisqu’il capture l’encre du papier support (magazine, photographie) grâce à la colle en fusion et produit une fois refroidi, un substrat indiciel que je mets ensuite en forme dans l’espace. Ce matériau est d’autant plus symbolique que la colle est ce qui sert à lier, relier. On en fait habituellement usage pour réparer les choses. C’est en quelque sorte un héritage technique familial que je me suis approprié car la soudure est aussi une technique qui consiste à assembler, maintenir ensemble des éléments, à solidifier… Tout comme l’artiste Thomas Hirschhorn, je pense qu’il faut considérer « l’art comme un outil, un instrument ou une arme. » L’art est un outil de connaissance du monde, de découverte du réel et il est selon moi, nécessaire de le diffuser et d’avantages de le faire expérimenter aux plus grands nombres. L’art est une arme, non pas que je prône la violence, mais parce que j’ai la conviction qu’il sert à défendre ses idées et à lutter contre l’obscurantisme. Lorsque j’utilise le « pistolet » qui est clairement connoté, avec des enfants pendant mes ateliers, j’appelle à la prudence. Il évoque souvent un jouet, mais il est chaud et peut brûler, il demande donc de la vigilance ! Il faut être vigilant avec ce que l’on crée, avec l’intention qu’on y met, avec le message que l’on veut faire passer. L’esprit critique, la réflexion font partie intégrante d’une démarche artistique, il en va de même pour ce que les enseignants souhaitent inculquer à l’école. Car la pensée sera leur arme afin de ne pas se laisser aliéner, faire son propre jugement, comprendre l’autre et l’accepter avec ses différences pour un monde plus en lien, plus en paix. C'est ce que j'espère amener pendant cette résidence, à la fois avec mon travail de création qu'avec les temps de transmission.
Morbihan
Par le(s) artiste(s)