Le dispositif « Création en cours » croise les enjeux de démocratisation culturelle et d’éducation artistique et culturelle dans l’objectif de rendre présente la culture dans tous les territoires. Selon nous, démocratiser l’accès à la culture est une affaire de sensibilisation et d’éveil plutôt que de déploiement matériel. Nous souhaitons interroger la perception des élèves, leur sensibilité, éveiller leur esprit critique et les accompagner dans la construction de leur parcours et de leur subjectivité. Architectes et urbanistes, nous nous intéressons depuis nos études, et particulièrement depuis notre diplôme, à la matérialité de l’espace. La thématique de la matérialité nous intéresse particulièrement puisqu’elle allie deux problématiques. La première, pragmatique et concrète, liée à la culture constructive, s’intéresse au geste et à la mise en œuvre de la matière. La seconde, plus immatérielle, liée à la perception, à a sensation. A partir de cette notion de matérialité, nous souhaitons ainsi interroger la perception des élèves, leur sensibilité, éveiller leur esprit critique et les accompagner dans la construction de leur parcours et de leur subjectivité. Plutôt que de leur proposer la création d'une œuvre d'art, nous souhaitons leur donner les outils qui leur permettent de comprendre ce qui les anime. Il est ici question d’entrer dans la compréhension de l’élève, de ses acquis et de la manière dont il les utilise et de l’aider à les mobiliser, les mettre en cohérence et les développer au travers de projets personnels pour trouver son expression propre. En prenant pour objet d’étude un lieu de leur environnement quotidien, les élèves seront amenés à produire des représentations sensibles de ce dernier par le biais de dessins ou de maquettes réalisés en instantanée ou de mémoire.
Ce temps de résidence se pose pour nous comme l’occasion de poursuivre nos recherches sur la matérialité et sa représentation. La notion de matérialité renvoie au domaine du sentiment et de l’émotion quand le matériau renvoie à celui du sensible, de l’expérience kinesthésique de l’espace. La matérialité produit des effets qui dépendent des matières employées mais aussi de la personnalité et de la sensibilité de chacun, du climat, de la lumière et de la forme architecturale en elle-même.
Architectes indépendantes, cette attention à l'expression de la matière dans le projet architectural nous habite quotidiennement. Cette thématique allie deux problématiques. La première, liée à la culture constructive, s’intéresse au geste et à la mise en œuvre de la matière. La seconde, liée à la perception s’intéresse à des phénomènes d’ordre immatériel : l'architecture est l'expression de tous les sens, toucher, ouïe et odorat qui enrichissent la seule perception visuelle, souvent privilégiée dans la pratique architecturale. Nous nous référons ici notamment à l'ouvrage de J. Palasma, "Le regard des sens", qui défend l'architecture comme discipline convoquant l'ensemble de nos sens.
Dans notre démarche de conception, ces recherches nous permettent d’aiguiser notre regard, d'apprendre à remettre en cause nos a priori sur l'espace, en se rendant perméables à l'expression des hommes qui peuplent le territoire que nous étudions. Ce sont les incessants aller-retours entre notre atelier et l’expérience sur le terrain, entre les différentes échelles et disciplines qui fait selon nous la richesse de notre pratique mais aussi du projet architectural. Cette résidence se présente comme une nouvelle manière d'expérimenter ces aller-retours, en classe, à l'école ou dans notre atelier.
L’appréhension de l’architecture sous l’angle de la matérialité implique nécessairement de repenser l’utilisation classique des outils de l’architecte. En effet, le croquis, le plan, la maquette, l’image ou le descriptif n’évoquent que très rarement cette dimension. La représentation de ce phénomène, que ce soit dans la conception d’un espace ou dans la communication de l’idée de celui-ci fait donc pour chacun de nos projets l’objet d’un travail particulier. Il s'agit de choisir le mode d'expression qui exprime au mieux l'état existant de l'environnement dans lequel le projet s'implante, puis celui propre au projet.
La maquette, outil de prédilection de l'architecte, se présente dans notre travail comme expérimentale, permettant non seulement de tester la volumétrie du projet mais aussi sa matérialité (rugosité des matériaux, reflets des matières, agencement des volumes par rapport à la topographie existante) tandis que le dessin, de mémoire ou croqué sur le vif, nous permet d'appréhender les lignes et les formes majeures qui caractérisent un espace.
Ces temps réguliers consacrés à l’écoute de nos sensations et à la représentation de ces dernières permettent de produire un projet architectural sur mesure, dialoguant avec l'environnement dans lequel il s'implante, s’inscrivant dans le ton du lieu, correspondant à ses habitants et leurs usages.
La matérialité ne se comprend qu'en lien avec les gens qui la vivent au quotidien. En effet, ce sont eux qui vivent l'espace, l'éprouvent et le ressentent. Partant de ce constat, il nous paraît évident de mettre en place des projets qui font participer ces personnes, les considérant comme premiers concernés mais aussi meilleurs connaisseurs de l'environnement dans lequel s'implante le projet.
Afin de récolter de la « matière », sur une place publique, dans la rue ou sur une esplanade face à la mer, nous mettons ainsi en place des dispositifs, ou installations temporaires qui invitent le passant, le touriste, l’habitant, les jeunes et les moins jeunes à prendre part à notre action pour l’enrichir et la transformer. Le spectateur n’est plus seulement observateur mais acteur de l’œuvre. Il s'en empare, la métamorphose. Au sein de cette résidence nous souhaitons susciter les rencontres et les échanges, entre petits et grands, entre l’école et le village, entre notre démarche artistique et architecturale et l'univers des élèves.
Dans cette envie de susciter des interactions sociales, nous aspirons particulièrement à travailler avec des enfants. Ceux-ci sont pour nous sources de regards particuliers sur leur environnement. Leurs dessins parlent différemment du quotidien qu'ils connaissent. Encore détachés de références particulières ou de codes culturels marqués, les enfants dessinent avec une plus grande liberté.
Parallèlement à nos pratiques architecturales, nous développons chacune des expériences pédagogiques. Ces expériences nous apprennent à transmettre notre énergie, nos connaissances, mais aussi à chercher en chaque élève ce qui l'anime et de lui faire place, pour qu'il l'exprime et s'épanouisse.
Le cycle 3 correspond à un âge où les enfants apprennent à s'exprimer individuellement. En cela, nos recherches sur l’expression de sensations et l’émergence d’un regard critique peuvent particulièrement bien s’insérer dans un programme pédagogique préétabli.
Notre travail de recherche ne peut se comprendre hors site. Il y est étroitement lié, et les outils qui en émanent viennent d'abord du contexte existant. L'objet de notre recherche se portant sur l'expression sensible d'une ambiance, nous développons pour chaque lieu des outils d'analyse et de retranscription qui lui sont propres.
A titre d'exemple au cours d'un workshop d'étude urbaine sur le projet du Grand Paris avec les urbanistes du Studio 13, nous avons utilisé l'outil de la carte pour l'analyse des tracés historiques de Saint-Denis d'une part, et les récits d'habitants et entretiens avec des élus et acteurs locaux, pour établir les hypothèses d'un projet attentif à son contexte. A Quend-plage en bord de mer du Nord pour notre projet de diplôme, les dialogues se faisant rares, nous avons cherché à retranscrire cet environnement par notre expérience corporelle et par des recherches graphiques sur les couleurs et les lumières si particulières de la côte d'Opale.
Ainsi, notre intervention dans le village de Beaurevoir s'efforcera de tenir compte des spécificités de ce village rural de l'Aisne en mettant en place une méthodologie adaptée. Notre résidence se donnera pour objectif de révéler la sensibilité des enfants, en puisant dans le milieu existant les clés pour le comprendre et les exprimer.
Aisne
Par le(s) artiste(s)