"Grammaire urbaine" est un projet d’expérimentation autour de l’estampe, mêlant linogravure et écriture, pour exprimer les sensations, les émotions, les fictions que nous évoque notre environnement urbain. Le processus créatif s’appuiera sur un parallélisme entre "composition picturale" et "grammaire" : deux systèmes qui nous permettent de structurer notre langage écrit ou graphique, afin de nous exprimer.
La mise en œuvre de ces langages aura pour but de créer un récit d’estampes et de textes, élaboré à plusieurs voix : celles des élèves, et celle de l'artiste. Par une démarche continue d'échange et d'écoute, les sensibilités de chacun·e vont devenir source d'inspiration pour les autres, pour peu à peu fusionner les récits individuels en une histoire commune. Avec, au cœur de ce processus, une transmission réciproque entre les acteurs du projet. L’artiste proposera des pistes de lectures pour appréhender son environnement urbain, des outils pour en parler, permettant en retour aux enfants de partager leurs ressentis et leurs imaginaires.
Expression écrite / expression graphique : quelle place ces deux procédés occupent-ils dans notre parcours éducatif, et avec quelle spontanéité les mobilise-t-on pour créer du récit ? Nous savons, a priori, situer l’âge auquel nous avons "appris à lire et à écrire" ; mais savons-nous situer l’âge auquel nous avons "appris à regarder et dessiner" ? Certain·es diront à l’école ; d’autres, pendant leurs études supérieures ; et probablement, la majorité répondra qu’elle n’a jamais appris. Pourtant, ces deux modes d’expression reposent sur des processus d’apprentissage analogues. Dans les deux cas, tout commence avec la dualité "code structurant" & "éléments constitutifs". À savoir, "grammaire" & "vocabulaire" pour l’écriture ; et "composition" & "figures" pour le dessin. Ensuite, l’appropriation par la pratique de ces mécanismes permet d’interpréter (lire, ou regarder) et de s’exprimer (écrire, ou dessiner).
Dans le cadre de la résidence "CRÉATION EN COURS", je souhaite approfondir les résonances entre langage écrit et langage graphique, les nourrir mutuellement, et les associer pour créer du récit. Un récit de linogravures et de textes pour rendre compte d’une exploration sensible de la ville.
Envisager l’environnement urbain comme une source de sensations, d’émotions, de fictions : cet enjeu se situe au cœur de mon travail et de mes recherches artistiques. Des études en architecture m’ont apporté des clés de compréhension de la ville, et des outils graphiques que je mobilise pour exprimer ce que l’environnement urbain provoque chez moi en termes d’imaginaires. Paradoxalement, ces études m’ont aussi fortement conditionné dans l’observation, et surtout, dans la représentation de la ville. Car les codes du dessin architectural sont à la fois des guides qui rendent possible l’élaboration d’un propos graphique construit, et à la fois des rails dont il est parfois difficile de s’extraire pour laisser le récit prendre une direction et une expression plus spontanée.
C’est là que le programme "CRÉATION EN COURS" m’offre un cadre propice pour hybrider mon récit et l’enrichir. Co-créer avec des enfants va me permettre de sortir de mes automatismes de représentation architecturale. En leur partageant de clés de lecture du décor urbain, et des notions de compositions picturales, je souhaite leur donner des outils d'expression écrites et graphique. Et ce afin de raconter, avec leur propre sensibilité, tout ce que nos décors urbains peuvent offrir de poétique et d’évocateur. Leur témoignage a beaucoup à m’apporter. D'une part, parce que leur connaissance du terrain sera plus ancienne, dont leur imaginaire probablement plus riche ; et d’autre part, parce que leur expression graphique sera moins soumises aux normes de représentation architecturale qui conditionnent immanquablement mon travail.
L’objectif de ce temps de résidence est donc d’élaborer un récit commun, à plusieurs voix, qui prendra la forme d’un ensemble de textes et d’estampes. L’élaboration de ce récit se fera en deux grandes phases : une première d'exploration, une seconde de construction d'un récit.
La première phase aura pour enjeu l’interprétation de la ville : nous allons l’arpenter, l’observer, et restituer nos impressions par des écrits et des dessins, sortes de fragments de notre futur récit. Pour cela, cinq ateliers thématiques seront organisés. Ils comprendront un moment de déambulation, de croquis et de prise de notes en ville, suivie d’un moment d'échange et d'ateliers d'écriture en classe. Cinq thèmes donneront des angles d’interprétation de la composition urbaine, et des pistes pour élaborer les compositions picturales des élèves :
- formes & proportions
- lignes & espaces
- couleurs & contrastes
- lumière & ombre
- détails de villes
Ces sorties vont permettre l'élaboration d'un corpus d'images et de textes, qui me serviront de source d'inspiration dans mes temps de recherche personnelle.
La seconde phase sera la phase de la gravure à proprement parler. À partir des fragments de récits, nous nos constitueront un "dictionnaire urbain", collection de matrices de linoléum évoquant les éléments construits et ressentis de la ville. Façades, fenêtres, poignées de portes, arbres, boîtes-aux-lettres... Mais aussi des formes plus subjectives, pour évoquer fumée, ciel, bitume, campagne, aube, crépuscule... Cette collection de matrices sera mise à profit pour travailler la composition graphique, en parallèle d’un travail d’écriture poétique. Estampe et textes s’articuleront sur le même support pour construire pas à pas notre récit.
Le partage de ce récit se fera par le biais d’une exposition, conçue collectivement. Nous chercherons à y mettre en résonance les productions des élèves et mes propres productions. La scénographie visera à mettre en évidence comment ces lectures individuelles se sont mutuellement enrichies. L’enjeu étant de raconter le vécu sensible de la ville, afin de mettre en lumière notre interprétation de cette "grammaire urbaine". Car apprendre à lire la ville est un préalable pour la considérer, et de là, s’y sentir bien, en prendre soin, et potentiellement contribuer à la construire.
Par le(s) artiste(s)