Tournage

Tournage

Publié par Milan Otal

Journal du projet

Du 14 au 18 mai 2018.

Nous désignons les comédiens mais les enfants ont choisi leurs postes. L’ingénieur du son sera aux commandes pendant les quatre jours de tournage et il aura à charge de former ses camarades. Même chose à l’image et dans chaque département. La scripte veille aux raccords, la déco est de toutes les missions, nous encadrons et manipulons la caméra seulement quand il y a du report de point à faire, ou des mouvements complexes mais sur film, les enfants ont globalement de vraies responsabilités. Entre eux ils se reprennent beaucoup, sur le jeu, la technique. J’ai observé dans cette école une importance particulière accordée à l’auto éducation, les enfants apprennent entre eux, les plus grands expliquent aux plus petits, avec leurs mots, leurs codes, ça fonctionne très bien. L’ingénieur du son insiste sur le ton mystérieux que doit avoir la voix off. Alors nous installons un petit studio dans une cabane qui a été fabriquée dans l’école. Lumière tamisée et effectif réduit, les enfants arrivent intrigués devant le micro.

Pendant le tournage les enfants pratiquent, observent et proposent, au cœur du processus, ils comprennent davantage ce qu’implique une fabrication de film. Mais je les vois parfois un peu perdus : nous ne tournons pas dans l’ordre chronologique, car nous limitions les déplacements et organisons nos demies journées par décors. Nous rejouons les actions selon différents angles, nous faisons des plans masters, des plans de coupe, des subjectifs, nous alternons les valeurs… Ceci dit certains d’entre eux comprennent tout, du début à la fin, chez eux le mécanisme est acquis, pour d’autres toute l’attention est dirigée vers le jeu. À ce sujet on sent l’impact du théâtre chez ces enfants. On sent aussi que c’est pour eux une pratique plus « naturelle ».

Le tournage se passe très bien, nous tournons lundi, mardi, jeudi et vendredi de 9h à 16h. Vendredi c’est la journée au bord du lac, les enfants sont excités et fatigués, le jeu n’est pas toujours au point, mais nous rentrons tous les plans. Seul regret : sous le poids des contraintes logistiques, techniques, le temps, je n’ouvre pas suffisamment le film aux modifications. Nous restons trop près du scénario, l’aléatoire du tournage n’est pas exploité. D’un côté c’est instructif pour les enfants : nous avons écrit un scénario, maintenant nous allons le tourner, s’il nous manque une séquence le film ne fonctionne pas. Une équation nette qui place la réalisation de films dans la sphère du travail. D’un autre côté, l’observation et l’exploitation d’accidents, la prise en charge de l’aléatoire, auraient davantage orienté notre travail dans le domaine artistique. Ceci dit le regret est surtout personnel. D’une part parce que nous avons tout de même parfois improvisé, les enfants ont vu que rien n’était figé (le deuxième jour du tournage le rôle principal était malade, nous avons dû modifier le scénario). Un regret surtout personnel donc, parce que cette méthode d’apprentissage -une mathématique simple, artisanale mais sérieuse- correspond finalement bien je trouve, aux attentes des enfants. Tout est jeu, mais jeu sérieux, avec des règles et un objectif collectif.

Enfin, on m’a rapporté que les enfants parlaient beaucoup du tournage entre eux. Plusieurs parents ont aussi évoqué la force d’un souvenir audiovisuel au cours de leur scolarité. Nous sortons de là avec un film de vingt minutes, et des souvenirs qui pour certains resteront longtemps. Le film a plusieurs mémoires et j’ai retrouvé dans cette expérience un sentiment auquel je tiens tout particulièrement : l’expérience survit au film, elle a plus d’ampleur. Le temps passé ensemble, le tournage, tout ce qu’il a généré de pensées et de sensations, tout cela dépasse l’objet. Il a finalement prit ici, a prit l’allure d’un prétexte pour vivre tout ça.