Repérages

Repérages

Publié par Milan Otal

Journal du projet

Avril – Mai 2018.

Dans le scénario, nous jouons dans deux décors principaux, le lac de Tolla et la commune d’Ocana, deux villages distants d’environ dix kilomètres. La vallée de Tolla a été inondée en 1960 lors de la construction du barrage qui alimenta tout Ajaccio en eau et en électricité pendant une dizaine d’années. Aujourd’hui, c’est la plus grande réserve d’eau douce en Corse. Le lac s’est ouvert au tourisme, des sentiers ont été dégagés sur ses abords, quelques commerces ouvrent l’été, très peu, et des pêcheurs s’y rendent toute l’année. Lors de nos repérages nous croisons l’un d’entre eux. Il a installé sa tente sous un arbre au bord de l’eau, seul avec son chien, là depuis trois jours. Il nous montre la carpe de 34kg qu’il vient de sortir. Il attend ses amis qui le rejoindront le soir pour la photo, puis il la relâchera.

Nous trouvons rapidement où nous placerons nos scènes et la caméra. Il nous fallait une barque. Marie Line avait envoyé un texto, c’était réglé deux semaines plus tôt. Nous ne pourrons pas mettre le comédien à l’eau, alors nous truquerons. Plan serré, légèrement plongeant pour voir l’étendue d’eau, un accessoiriste costaud fera bouger la barque pour simuler le mouvement du clapotis, que nous appuierons au son.

On règle le mouvement de l’accessoiriste sur celui d’une barque qui flotte réellement plus loin. A Tolla tout est assez évident, le décors suffit à lui même, nous composerons surtout avec la lumière, car à la fin du film c’est en nuit. Pour cela il vaut mieux jouer sous des arbres où la lumière est plus diffuse et donc plus facile à travailler en post production.

Les enfants comprennent vite l’artificialité de l’affaire, ils en font un jeu qu’ils s’approprient volontiers. Chacun y va de son idée. Les propositions fusent et je crois qu’à cet instant ils sont assez proches de ce que peut-être un premier film : beaucoup d’artisanat.

Près de la rive j’aperçois dans l’eau un énorme platane. Envie de l’intégrer au film. Nous modifions la voix off pour la séquence finale : « quant à la guitare, certains disent qu’elle fut conservée à l’abri quelque part dans Ocana, d’autres, qu’elle fut rejetée au lac, qu’un arbre poussa où elle fut coulée, et que de temps en temps, lorsqu’un poisson effleurait les cordes, le lac s’illuminait d’images de notre passé. »

Pour jouer la plongée de Ceccè, nous tirerons des draps noirs dans une salle de classe. Nous ne sommes pas équipés pour une incrustation sur fond vert, et je connais dans mon logiciel de bons effets de masquage par différence. Ils sélectionnent et suppriment la couleur la plus sombre, restent les tons clairs. Nous éclairerons donc le visage de Ceccè avec des lampes frontales, celles que pourraient porter les plongeurs EDF, pour que son visage soit distinct dans le trouble aquatique. Le noir supprimé deviendra un fond marin assombri et bulleux (une combinaison de deux images issues de banques gratuites en ligne), au son un effet passe bas pour reproduire l’aspect étouffé des profondeurs, et le comédien devra gonfler les joues, plisser les yeux, ses gestes devront être exagérément ralentis, retenus par la force de l’eau. Enfin nous mettrons un ventilateur pour simuler le mouvement de l’eau dans ses cheveux.

A Ocana les repérages sont plus complexes. Nous avons besoin d’intérieurs. Cela se voit quand un film est tourné en école, même avec de bons efforts en déco. La première bonne surprise, c’est cet atelier qui ressemble à un repère de brigands, ou à la cabane de Jeremiah Johnson. La propriétaire c’est Thérèse, très orientée débroussaillage, bricolage, et brocante. Parfait pour Pascal le luthier, un enfant marginal, déscolarisé, qui passe son temps à réparer des instruments à l’écart du village.

Il nous faut la chambre de Nicolas, là où il joue de la guitare pour la première fois. Par manque de temps nous validons la première qui nous a été proposée, mais c’est une chambre de lycéen, propre et bien rangée. Nous aurions aimé que les images du passé s’impriment sur un univers plus marqué, ou que la modernité de cette pièce soit mieux exploitée. Le poster Games of Thrones aurait par exemple pu être un bon écran pour le passage des muletiers. Il faudra composer avec des décors réels. Dans ces cas là, c’est le placement de la caméra et la lumière qui font fonctionner ou échouer la séquence.

Les repérages permettent aussi de comprendre ce que peut être le montage dans sa réalité primaire. La coupe. « Là on le voit de loin, après on voit ses yeux qui regardent, après on voit la pièce, comme si on voyait avec ses yeux …». Un plan subjectif confirmons-nous, mais ils appelleront ça un «subjonctif» jusqu’au troisième jour de tournage. C’est aux repérages qu’est offert pour la première fois il me semble, une vision plus juste de ce que pourra être le film.