En 2017, deux jeunes amis enquêtent sur la cinquième voix, manifestation miraculeuse de l'essence de la polyphonie corse et sarde. La quintina est la cinquième voix qui est perçue sans pourtant être chantée, dans un chant religieux polyphonique chanté chaque Lundi Saint par un chœur de quatre hommes dans certains villages de Sardaigne. Chaque chanteur produit un son riche en harmoniques, et les quatre voix superposées produisent une cinquième voix aiguë, la Quintina, considérée comme étant la voix de la Vierge. Nous aimerions réaliser un long-métrage à la fois poétique et documentaire sur les pratiques du chant polyphonique en Corse et en Sardaigne.
Ce n’était qu’une idée, au début, une idée qui est revenue à plusieurs reprises sur plusieurs années entre un musicien et un réalisateur, l’idée de réaliser ensemble un film à la fois documentaire et poétique sur les polyphonies méditerranéennes insulaires, reliques des temps sans l’écriture, où la transmission orale était comme une chaîne du temps et, si l’on y rêvait un peu, pouvait nous ramener aux temps immémoriaux de l’expression d’étonnement originel : l’homme face au monde, à son territoire, qui éprouve le besoin de faire sonner sa voix avec celle d’un autre. Puis le chant se perfectionne, se spiritualise, le chanteur recherche l’écoute la plus parfaite, celle qui produit la cinquième voix, la quintina, la voix des anges. Ce phénomène presque miraculeux que nous envisageons comme un temps d'apogée dans notre documentaire, nous le connaissions l’un comme l’autre par différents biais liés à nos parcours de réalisateur et de musicien. Cette cinquième voix aérienne, nous la considérons comme la manifestation symbolique de notre principale préoccupation : l'invisible, ce qui vient de la terre nous le croyons, pour finir en l'air, ce qui reste suspendu des siècles durant. Ce qui n'a pas d'école pas de musée pas d'écriture. Des jeunes à casquette, IPhone en poche, les chaussures pleines de boue, au comptoir miteux d'un bar mal éclairé, à la spontanéité d'une main posée sur l'oreille, et ce chant vieux de plusieurs siècles sort toujours, cette cinquième voix. De la terre au ciel. La cinquième voix représente pour nous la force d'une transmission qui dépasse les siècles. Une force invisible que nous voudrions rendre en images et en sons. Du brut au sublime, de la terre à l'éternel. Ce passage invisible entre les siècles, c'est ce qui nous intéresse. Comment ça marche ? Nous croyons qu'il existe comme une connexion entre les praticiens et leur territoire, d'ordre géologique, minérale. C'est notre parti pris. Nous travaillerons à la manière du plasticien, du gratteur de terre. Notre film alternera des séquences de chant, du quotidien des protagonistes, des paysages, des événements animaliers, organiques, minéraux. Une vérité extatique que nous ferons résonner. Depuis notre implantation en Corse, nos amis, nos réseaux, nous avons accès à un patrimoine exceptionnel. Isolés dans les bergeries des montages corses ou sur les côtes sardes, nous connaissons quelques ambassadeurs du chant polyphonique, et plus discrètement au fond d'un bar, des ados, des jeunes filles. Et systématiquement ce miracle : ça ressort, c'est là. De la boue à la grâce un chemin s'est fait et nous n'étions pas là. Notre film a la grande ambition de tenter une représentation de ce chemin. C'est évidement un choix poétique, mais nous tenons à la rigueur scientifique que commande ce projet, et face à la disparition possible du chant polyphonique la préoccupation collective de laisser nous aussi une trace, de documenter.
Aisne
Par le(s) artiste(s)