La fin du commencement

La fin du commencement

Publié par Manuela Ferry

Journal du projet

Le livre en broderie est relié et (presque) terminé

Le premier chapitre du voyage de Mô, illustré en broderie.
Premier volume d’un livre en cinq parties, qui devrait voir le jour dans sa totalité au cours de l’automne 2018.

Préambule
Mô se réveille après une nuit sans lune, les yeux vagues.
Le matin est bleu.
Il a dormi d’un sommeil gris poussière, lourd et âpre comme de la cendre.
Il ne ressent ce matin-là aucune envie, aucun bourgeon en fleur lui caresser le cœur, aucune bourrasque de vent souffler sur son esprit engourdi.
C’est plutôt comme une épaisse couche de neige qui se serait déposée sur ses pensées pendant la nuit.
L’aurore lui paraît fade et les couleurs du ciel, délavées.
C’est le premier jour de l’été, pourtant il a le sentiment de sortir d’une longue hibernation, secoué de frissons dépourvus de chaleur.
Bientôt, une sensation de vide le tenaille, un trou noir qui du même temps l’encercle et l’aspire.
Il se lève et se prépare un thé fumant.
Les volutes doucement dissipent son propre brouillard, et il comprend.
Il comprend qu’il n’a pas veillé sur ses rêves, et les a laissés s’échapper, sans prendre garde.
Il comprend qu’il n’a pas cru en l’absolue grandeur de ses rêves : ils se sont discrètement éclipsés, las d’être ainsi négligés.
Mô se sent alors dériver comme une branche flottant à la surface de la mer, se laissant à la fois porter par le sel et engloutir par la houle, le ressac.
Sans issue, il semble entouré d’eau, comme s’il était lui-même devenu une île, un morceau de terre isolé, détaché de ses racines et de sa souche. Avec pour seule perspective la ligne ondulée de l’océan.
Mô regarde au fond de lui et aperçoit petit à petit le chemin à suivre.
Une étendue d’horizons qui l’attend, de nombreux lointains qui s’offrent à lui, afin de renouer une infinité de liens invisibles et de se rapprocher de lui-même.
Il sait désormais qu’il va sans doute devoir se perdre un peu pour trouver sa vraie destination.

  1. Le désert (le commencement)
    Après des jours d’inconnu, Mô arrive par l’ouest sur une langue de terre aride appelée « Kanniyākumari pen » (« la femme d’ocre ») dans une des plus anciennes langues du Monde.
    Le sol est recouvert de sable, jaune par endroits, plus loin rose foncé ou bien rouge brique, tel un tapis de minuscules débris de terre cuite.
    Le sol est recouvert de sable chaud et fumant, de bauxite et de granit, de monticules rocheux.
    On raconte qu’une femme, fatiguée et perdue, s’est allongée au milieu de cette île il y a bien des années. Dormant d’un sommeil profond, son corps entier a pris racine, donnant naissance à l’unique arbre ayant jamais poussé sur cette parcelle désertique, cette terre stérile, devenue pour un instant
    fertile. C’est un arbre éternel, renfermant un feu sacré et perpétuel, auprès duquel chacun peut venir retrouver ses racines.
    Encore faut-il le trouver, car il n’est pas visible à l’oeil nu.
    Pour l’apercevoir, il s’agit de revêtir le costume de l’enfance.
    Lorsqu’il s’approche du rivage savamment déchiqueté par les flots, Mô  observe le sol trembler et frémir comme de l’eau qui bout. Les grains de sable dansent frénétiquement et avec grâce sous l’effet de la chaleur et la douceur du vent.
    Tout semble à la fois silencieux et prêt à jaillir.
    Sous-jacente, une force vibre en sourdine et semble vouloir se déployer au-delà des profondeurs.
    Un coeur bat sous le sable et Mô sait qu’il est sur les traces de sa naissance.
    Ou de sa renaissance.
    Comme un mirage, un masque de feu soudain embrase son visage et confère à sa vision l’empreinte d’un coucher de soleil majestueux.
    Sous ses pieds, les pierres roulent, se brisent et se démasquent.
    Elles dansent en rond autour des cairns, se livrant comme à un rite.
    Nues soudain, elles montrent à Mô leur intériorité, leur tendre jeunesse.
    Elles l’invitent à se dévoiler à son tour, guidant ses pas vers l’arbre.
    Au-dessus, entre sa tête et le ciel, le silence et l’immensité règnent en maîtres.Mô se met en marche. Il traverse le désert et sa propre solitude, suivant simplement le cahotement
    des pierres et le bruissement lointain et fébrile des racines.