La Jungle

L'arrivée au pays des arbres.

Publié par Alex Lambert

Journal du projet
Architecture Arts visuels Installation Illustration, Ecologie, Construction

Le 10 février 2021, Paris s'immerge dans le froid intense et signe son hiver accompli. Il neige, le vent se lève en lutte contre les habits chauds de la saison. Encore quelques heures avant de se rendre à Orly et d'embarquer dans les fameuses machines volantes capables de traverser la planète en quelques heures. Navette, passeport, vaccin, document covid style, billets, terminal, guichet, douane, re-passeport, scan, bon voyage, merci, place numéro xy2², milieu de rangée, siège, affaire au-dessus, j'ai faim. C'est parti, décollage en règle, le pilote est chaud.

9 heures de traversée. Toujours étrange pour un être humain de se retrouver assis à plusieurs milliers de mètres du plancher des vaches ou des poissons. Un avion, selon le modèle et le type de propulsion, vole entre 9.000 et 15.000 mètres, ce qui est haut depuis notre taille moyenne de 1.70 mètres.

Doucement, notre communauté éphémère du vol 8 457 prend de la hauteur, longe les côtes portugaises, puis sénégalaises et fait le pont du grand bleu. Des mètres cube de flotte se trouvent loin en dessous de nous, mais la délicate stabilité du vol, l'attention des stewart et du petit apéro, les sièges mous, et la clim, nous font doucement oublier ce détail. L'appréhension du voyage est aseptisée afin de profiter de l'expérience inédite d'être un oiseau. Alors que je vole, je lis, entre quelques films, le livre "Oasis interdite" de Ella Maillart. Récit autobiographique de son expérience nomade des années 1930, de Beijing à Delhi, durant 10 mois à pied ou à dos de mules, elle et son équipe ont traversés des immensités peu habitées et difficile d'accès à l'époque, car reculées ou politiquement inaccessible pour des étrangers. Mais, doté·e·s d'un bagou et d'une endurance sans sommation, iels ont traversé des déserts, des steppes arides, montagnes infinies, et plaines verdoyantes, à la rencontre des cultures de l'Asie lointaine et font de ce grand voyage une expérience du mouvement à échelle humaine.

Loin de ce genre d’aventure, notre communauté voyage aussi. Nous laissons de côté l'étendu aquatique pour découvrir les premiers rivages et l'apparition arboricole tant attendue. Cette grande nappe verte sans limite tranche avec le bleu précédent. Devant le spectacle d'une forêt vue de haut, les plus burlesques y verront des champs de brocolis plus ou moins cuits, les plus scientifiques y verront le signe d'une biodiversité primaire intense, et d'autres y verront juste des arbres, plus terre-à-terre mais pas moins malins. Déjà, on y est un peu, dans l'abondance de feuilles et de bois, dans l'humidité et la densité des forêts, proche des espèces variées qui y vivent, dans ces histoires cachées aux racines de nos cultures, ça va être palpitant.

Heureusement, Air-Caraïbe anticipe le fait que nous ne sommes pas en mesure de voir à 90° dans le sens perpendiculaire de l'avion et que donc, le spectacle sous nos pieds nous reste inaccessible. Néanmoins, deux ingénieuses caméras ont été placées sur l'appareil. Une dorsale permet d'apprécier la belle cuirasse de cette machine volante, l'autre, ventrale, nous donne à voir ce qui se passe en-dessous de nous. Le tout retransmis en direct sur l'écran placé juste en face du siège, expérience immersive proche du dernier Futuroscope. Alors voilà, tou·t.es ensemble, comme une grande famille, nous profitons de l'attraction et arrivons au pays des arbres.

L'avion.