« Rien ne se perd, tout se transforme », est une invitation à l’exploration de la matière photographique. Guidés par cette maxime, il s’agit d’observer les effets de révélation, de recouvrement et d’excavation de l’image, comme d’un lieu « palimpseste » qui jamais se détruit, seulement change de forme. Passés au filtre de méthodes désuètes de l’argentique, les paysages sont mis à mal, contaminées par la technique censée les révéler. La photographie est traversée d’une communication ; les mots s’emmêlent, butent et finalement se précisent comme pour palier les manques de l’image. Le projet de résidence prend la forme d’un laboratoire d’expériences photographiques transposées dans le champ de la vidéo et de la performance. Comme paysage de la recherche et des expérimentations, une exposition fera se succéder, par des rapprochements visuels et sémantiques mes photographies et celles des petits chercheurs-laborantins.
« Rien ne se perd, tout se transforme », est le prolongement de mon projet « Conversation en cours », qui se décline en plusieurs chapitres, traversant différents formats (conférence-performée, vidéo). Depuis ses débuts, le projet explore les limites de la transmission - dans ce qu'elle a de délicat et impermanent - par une image et un langage qui deviennent matière. Il s’appui sur les témoignages qui m’ont été rapportés à propos de la découverte charnière du Brome en 1826 dans les marais salants de Villeneuve. Le Bromure d’argent est l’une des substances chimiques utilisées dans la gélatine des papiers photo pour ses qualités photosensibles ; cette gélatine même que je souhaite continuer à explorer et manipuler en résidence.
J’accompagnerai les enfants dans mon projet en vue du troisième chapitre. A mon tour, je leur rapporterai cette histoire à partir de laquelle ils fonderont leur travail d’auteur. « Rien ne se perd, tout se transforme » sera consacré à la recherche des procédés de révélation d’une image. Ensemble, à la manière de chercheurs-laborantins, il s’agira de remonter le temps de cette découverte du brome, par la manipulation de mes photographies de paysages salins et l’appropriation d’anciennes techniques.
Le titre que j’ai donné à ce projet, une phrase tirée de la maxime du chimiste Antoine Lavoisier, s’explique pour deux raisons. La première concerne son champ d’application : la science. Le projet avec les élèves sera de mettre en place un labo photo afin de nous prêter au jeu de l’exploration des techniques d’apparition d’images. La deuxième raison est plus imagée. Guidés par cette maxime, nous observerons les effets de révélation, les apparitions et disparitions des images, comme un paysage qui jamais se détruit, seulement change de forme.
Plus qu’une chambre noire, notre labo photo sera à envisager par extension comme un vaste laboratoire d’expérience, où on se livre à des recherches artistiques. Les techniques du sténopé, du photogramme, du mordançage, pour n’en citer que quelques-unes, seront le terreau de nos explorations. Il s’agira d’expérimenter de manière active une photographie plastique, proche du monochrome ou de l’abstraction, appelant à la contemplation. Pour autant le dessin n’en demeurera pas moins sérieux, pointant du doigt la question de la mémoire des lieux, à l’instar des marais salants qui furent à l’origine de la découverte du Brome. A partir des expérimentations menées avec les élèves, je chercherai à révéler l’évanescence des paysages salins, avec en ligne de mire les rapports de tension entre recouvrement et excavation, état de latence et révélation. Au sein du laboratoire, chacune des prises de vue et manipulations effectuées prendra en comptes les imprévus. On leur portera une attention particulière afin d’inventer des manières de détourner les grands procédés de l’histoire de la photographie. Les paysages seront mis à mal, contaminées par la technique censée les révéler. Ainsi passées au filtre de méthodes désuètes de l’argentique il en émergera de nouveaux rapports d’analogie avec les paysages "palimpsestes" photographiés.
Au cours de la création de nos photographies expérimentales, nous ferons des ponts régulièrement avec l’histoire de la découverte du Brome afin d’élargir notre laboratoire à la création d’un corpus d’images d’archives. Nous collecterons des photographies d’auteur (du domaine public) et d’autres vernaculaires, pour tenter d’opérer des rapprochements visuels et sémantiques avec les résultats de nos expériences. Ainsi, notre corpus constituera un réseau d’images qui ne mène nulle part, sinon à un jeu de rappel entre les images, évoquant le « marabout, bout de ficelle » qui est une méthode d’organisation inspirée d’une comptine où les mots se succèdent par le glissement d’un phonème commun. Le basculement d’une image vers une autre s’effectuera par un enchainement de formes, d’effets de matière, de nuances de lumière et leur rapprochement révèlera une nouvelle mémoire, un nouvel état du paysage.
Si cette proposition artistique diffère du grand projet heuristique de Warburg, l’atlas Mnémosyne, elle partage avec lui l’intérêt pour les rapprochements d’images d’époques et de registres différents. Cette pratique des images entretient un rapport structurel ou formel avec l’archive traditionnelle et, à la fois, la met à distance en limitant le nombre d’images présentées. Assumant ainsi la subjectivité et la relativité des ensembles constitués, la démarche finale du projet s’apparentera plus à celle du collectionneur que de l’archiviste.
Après la conférence-performée et la vidéo, la forme que je donnerai à ce troisième chapitre de « Conversation en cours » sera celle d’un site internet ; le web étant devenu cette archive universelle et à la fois le lieu de sa transmission. Ainsi, il sera le paysage de nos recherches et expérimentations, mais surtout, révèlera de nouveaux intervalles entre chaque image de la collection. Rien ne se perd, tout se transforme, et l’enchainement des photographies laissera apparaitre la dynamique de cette transformation incessante. Par une composition semblable à une constellation et une navigation de lien en lien, le site enchainera sans hiérarchie les images d’archives, les photographies des élèves et mes propres images.
Vendée
Par le(s) artiste(s)