Une première rencontre

Publié par Caroline Mas

Journal du projet

Jeudi 7 février, première vraie journée à l’école. 

Nous avions convenu d’une première rencontre avec la classe avant les vacances d’hiver, pour laisser le temps au projet de germer dans la tête des enfants et revenir à la rentrée avec plein d’idées, de souhaits et de rêves…

Les enfants sont impatients, ils savent que quelqu’un arrive pour les rencontrer, mais ne savent ni qui, ni pourquoi, ni pour combien de temps. Lucie, institutrice de la classe et directrice de l’école a souhaité garder la surprise !

Dans la salle annexe qui leur sert habituellement pour les temps de lecture et d’ateliers, j’ai pu installer deux enceintes pour leur présenter mon travail autour de quelques écoutes.

     « Oh on va écouter de la musique »

               « Oh oui, du rock »

Non, désolé les enfants on ne va pas écouter du rock, mais au cours des mois qui arrivent on va créer une cabane avec des sons et des images dedans.

             « Une discothèque ! »

Je ris intérieurement. Non plus ! 

Non, nous allons essayer de créer un cocon, dans lequel nous pourrons confortablement écouter des documentaires sonores associés à des photographies, avec pour thématique une sensibilisation à l’écologie alpine.

C’est certainement moins fun, mais pas moins intéressant.

Avec Lucie, nous avions préparé un premier petit atelier où je leur propose de courtes créations sonores à entendre qu’ils doivent associer à l’une des photographies projetées devant eux.

L’idée étant d’aller chercher des indices dans le contenu sonore pour contextualiser le lieu, le propos voire les émotions, dans la photographie.

Volontairement, j’avais mis plus de photographies que de sons, non pas pour les duper, mais pour ouvrir à d’autres possibilités face à un même son.

Leurs propositions, remarques, furent des plus pertinentes. Avec l’aide de quelques indices, ils ont pu se mettre d’accord sur une ou plusieurs photographies à attacher à chaque son. Parfois, quelques indices sonores courts ou faiblement audibles, donnant des indications précieuses avaient été entendus et reconnus. Parfois, on reconnaissait la photographie prise lors de la prise de son, définissant le cadre, le lieu de prise de son, mais on arrivait aussi à y associer une photographie plus dramatique, dégageant le climat de l’extrait.

En réalité, j’étais impressionnée.

Même plus.

Le dernier son que j’ai diffusé, sans bruitage ni parole, a spontanément été associé à l’image 6 (un promeneur solitaire dans la brume. Une image en noir et blanc d’un ami, Paul-Henri Michel) car « le son donne l’impression qu’il y a quelqu’un qui fuit quelque chose » et à l ‘image 9 (une photo de montagne rougeoyante sous l’orage) parce qu’ « on entend l’orage et la pluie et que c’est le climat qui se dégage du son ». 

En réalité, ce son avait été composé pour un duo avec un comédien, où celui-ci racontait une course folle en montagne sous l’orage et la pluie violente s’abattant sur lui.

« Je suis un point minuscule accroché aux flancs de cette vallée.  Je cours. Souffle régulier, jambes en mouvement, tête vide. Léger, je m'élève.

(...) 

Me voilà soudain criblé par les cristaux de glace qui frappent comme des aiguilles minuscules. Des billes qui frappent nos jambes et bras nus. Sur le sentier elles s’amoncellent, recouvrent la terre, ruissellent, trompent le pied et invitent à la chute. Mais mon pied est précis, je monte.

Plus haut la neige. Une longue langue de neige s'étale jusqu'à la vallée. On la traverse et la retraverse en diagonales régulières, une chute et on finit en bas. Mon pied est précis, je retiens mon souffle et ça passe. Ça monte. Voilà le col.
Je suis un minuscule point juché à la frontière entre le ciel et la terre, invisible et malmené par les éléments, la pluie et la neige qui frappent.

Il est temps, nous nous jetons dans la descente, deux points minuscules lavés par la pluie, glacés par le vent, trempés par les torrents d'eau qui nous attrapent les pieds. Nous sommes deux gouttes d'eau qui avancent dans le flux, nous en perturbons le sens, nous brisons la verticalité des cascades de pluie. Je ruisselle et je grelotte. Mais je cours. Je redeviens animal  / animal courant / j'ai posé le cerveau comme on dit / je ne pense plus / je ne réfléchis plus / je ne brasse plus les idées qui tournent dans ma tête quand je marche. Je suis un animal léger, vulnérable, dénudé. Je n'ai rien à manger et rien à boire. Je suis dans l'espace, je transperce le rideau d'eau. Je suis vif. J'appartiens à l'espace, je m'y confonds, mon pied est un rythme. Je ne décide pas, je ne présume pas, c'est le relief qui dicte. La montagne joue de moi, cette pierre appelle mon pied, ce ruisseau me suspend dans l'air, le temps s'arrête. Le temps est suspendu, dilaté et contracté en même temps. Je suis en fusion dans les éléments, un animal jeté dans la pente. Je m'en remets au roc / au vent / à l'eau. Je ne suis plus rien qu'une goutte, une goutte de plus, la montagne m'arrache à moi-même. D'en haut je me vois courant, mon esprit est détaché, il est encore en haut du col d'où il regarde mon corps descendre.

Un minuscule point d'eau dans la vallée, fondu dans l'espace, souffle court, muscles brûlants et transis à la fois, le sang bat dans mes veines.

Je suis à la mesure du temps, perdu dans la démesure de l'espace. »

                           Texte de Jérôme Cochet, pour Terres d’en Haut #1 Belledonne, été 2018.

Je fus alors remplie d’une certaine reconnaissance et satisfaction.

Ils sont allés au delà de la simple musicalité du son, ils ont su en saisir le caractère narratif et émotionnel.

Cette belle séance arrivait à son terme, et déjà nous leur proposions d’imaginer pour la rentrée, la cabane que nous allons construire pour y mettre ces sons dedans.

Les idées commençaient déjà à fuser. Les demandes pour écouter d’autres sons, essayer des associations sonores, partir écouter la nature aussi.

Tout cela projette de belles perspectives. J’ai déjà hâte de les retrouver à la rentrée !

Promeneur solitaire
Photographie de Paul-Henri Michel.