Séance d'écoute lors de la balade sonore avec la classe

SEMAINE 1 - Le temps de la rencontre

Publié par Juliette Chartier

Cinéma et audiovisuel Documentaire sonore

Intentions

Lundi matin. Avec Lorine, ma collègue réalisatrice sonore qui m’accompagne sur le projet, nous arrivons à l’école de Concarneau. Nous sommes déjà venues sur les lieux quelques semaines auparavant rencontrer Philippe, l’instituteur avec qui nous allons travailler tout au long de l’année. 

L’école se situe dans le quartier de Kérandon, sur les hauteurs de Concarneau. C’est un quartier ouvrier du nord de la ville. De petites barres d’immeubles soulignent des routes de bitumes, toutes semblables. Un quartier, comme on peut en trouver en périphérie des grandes agglomérations.

Mais l’océan n’est pas loin. Et une surprise de plus : derrière l’école se trouve une forêt. Un sentier, bordé d’arbres, longe un ruisseau et nous mène directement au port. 

Les enfants de la classe ont un rapport ambivalent avec l’océan : ielles habitent à quelques encablures du port, un chemin de forêt le relie même presque directement,  et pourtant ielles n’ont pas, ou très peu, de lien avec cette partie de la ville. Cela nous fait penser aux enfants de chez nous, dans les quartiers Nord de Marseille, dont certain.es n’ont jamais appris à nager alors qu’ielles sont né·e·s à quelques centaines de mètres de la Méditerranée. Cette relation nous interpelle.

Nous voulons proposer aux enfants de créer une balade sonore qui partirait de l’école pour aller jusqu’au port, en longeant ce chemin de forêt. C’est par ce biais que nous souhaitons travailler cette relation ambivalente qu’ielle·s entretiennent avec cette ville portuaire, tournée vers l’océan.  

Pour réaliser cette balade sonore, nous créerons ensemble plusieurs “pastilles”. À chacune de nos venues, nous réaliserons avec les enfants une création du parcours, autour de registres différents (paysage sonore de la forêt, du port, interview d’un ancien marin, micro-trottoir autour de la mer, reportage sur le vif de leur cours de voile...).

Au départ, nous voulions développer une correspondance sonore entre les enfants et les femmes de marins, personnages de notre projet de création.

Mais la situation de crise que nous traversons nous oblige à nous adapter. Le processus de création se trouve ralenti par les confinements et nous sommes en phase de repérage pour rencontrer nos personnages. La forme que nous leur proposons, celle de la balade, solutionne l’adresse du projet de création sonore mené auprès des enfants : ielle.s créent les pastilles à destination des auditeurices de la restitution finale (famille, proches, enfants de l’école mais aussi, si la situation nous le permet, public plus large).

La forêt bordant l'école
La forêt bordant l'école

Première rencontre 

Lorsque nous rentrons dans la salle, dix paires d’yeux intrigués nous fixent : c’est la première fois que les enfants nous rencontrent !  Au-delà des masques,  nous devinons quelques sourires. 

Nous n’échappons pas à une question qui leur semble primordiale : “Est-ce que c’est vrai qu’à Marseille tout le monde écoute Jul ?”

Nous proposons aux enfants une présentation par la mise en mouvement  afin de casser les codes de l’espace de la classe et d’une disposition “frontale” avec nous adultes, face à elleux, enfants. 

Nous leur demandons de se ranger par ordre alphabétique des prénoms, puis de l’endroit d’où l’on vient. Cette consigne assez large permet une première discussion : Qu’est-ce que ça veut dire d’où on vient ? Là où on est né·e ? Là où on a grandi ? Ou là où on habite maintenant ?

Ensuite, nous nous présentons aux enfants, chacune par un son. Nous leur proposons de nous parler de leur son préféré, ou du premier son qu’iels entendent le matin. 

L’idée est de, progressivement, développer leur écoute. Prendre conscience que dans ce monde d’images qui nous entourent, le son peut souvent nous échapper alors qu’il nous entoure au quotidien. Quels sont ces sons qui nous entourent?

Nous leur proposons également d’écouter le silence. Drôle d’exercice à première vue. Mais qui permet de prendre conscience de cette notion toute relative. Est-ce que nous pouvons entendre un vrai silence? Qui avait fait attention auparavant au bruit du vidéo-projecteur ? Au tic-tac de l’horloge dans le brouhaha de la salle de classe ? 

Les enfants nous questionnent sur les chambres anéchoïques qui les intriguent beaucoup. 

Après cette phase d’introduction, nous proposons aux enfants une initiation au matériel d’enregistrement. La sortie du matériel est comme souvent accompagnée d’un grand enthousiasme : “Whoa les micros !”, “et ça coûte combien un truc comme ça ?”, “je peux avoir celui-là ?”. L’idée est de découvrir le fonctionnement des micros par de petits jeux d’enregistrements ludiques : ramener un son “plus grand que soi”, un son “riquiqui”, un son “fort”, un son “faible”... Nous leur distribuons également des feuilles de scripte.

Chacun.e se retrouve tour à tour scripte, réalisateur-trice ou bruiteur-se.

L’école se transforme alors en formidable réservoir à son : le robinet des toilettes, les feuilles du cahier, les cris de la récré, les portes qui s’ouvrent… 

Lors de ces deux premiers jours d’ateliers, nous souhaitons travailler avec elleux autour d’un espace proche de l’école avec de nombreuses possibilités d’imaginaire :  le paysage sonore de la forêt. 

Nous introduisons l’après-midi par une séance d’écoute à l’aveugle d’un paysage sonore : un extrait d’Amazonia de Felix Blume. Pour un même son, les imaginaires se déploient et les images mentales que se dessinent les enfants sont différentes en fonction de leur sensibilité. 

Réponse des enfants à la question : qu'entends-on dans la classe?
Réponse des enfants à la question : qu'entends-on dans la classe?

Nous leur proposons ensuite d’aller écouter la forêt autour de l’école.

Comment raconter un lieu sans le décrire avec des mots ? Quels sons allons-nous trouver sur  notre balade ? Nous écrivons ensemble au tableau les différents sons qu’iels imaginent entendre.

Nous partons sans enregistreur. Apprendre à enregistrer c’est d’abord apprendre à écouter, ouvrir grand ses oreilles et être attentif.ve.s à tous les sons alentours. Pour les guider, nous leur avons distribué un questionnaire : Quels sons entends-tu sur le trajet ? Quel son tu aimes, tu n’aimes pas sur ce trajet ? Est-ce que cela te rappelle un souvenir? 

Sur le chemin, nous nous arrêtons à plusieurs endroits et découvrons plusieurs traces de la présence de l’occupation des enfants : une cabane, des traces de pneus de vélo : “c’est là que nous allons jouer souvent!”.

Nous nous arrêtons pour écouter les différents chants d’oiseaux. Philippe propose un exercice : fermer les yeux et deviner d’où viennent les oiseaux au-dessous de nos têtes.

Pour finir cette première journée, nous distribuons une carte aux enfants de notre parcours, et leur demandons de redessiner le trajet que nous avons fait, de coller une gommette de l’endroit qu’iels ont préféré et qui leur a rappelé un souvenir.

Le paysage sonore de la forêt

Lors de notre deuxième jour, nous prenons la classe en plus petit groupe. Nous proposons aux enfants de fabriquer leur carnet d’explorateur-trice sonore, puis d’enregistrer les sons de la première capsule, celle du paysage sonore de forêt, l’après-midi. 

La fabrication du carnet leur plaît beaucoup et iels s’appliquent avec attention.

Fabrication du carnet
Fabrication du carnet

L’après-midi nous enregistrons les sons du paysage sonore autour de l’école. 

Nous remarquons que leur prise de son et leur écoute se fait de plus en plus attentive. Nous les guidons dans la prise de son : autour de nous, quels sont les sons les plus intéressants à enregistrer ?  Où se placer le mieux pour enregistrer le bruit de cet oiseau ? Comment bien tenir son enregistreur ? 

Chaque groupe ramène une récolte sonore que nous écoutons ensuite en petit groupe. Iels sont très curieux-euses de découvrir leurs sons après la prise. Le problème et tout l'intérêt du son qui ne se matérialise pas sous nos yeux comme le ferait une image. Un peu comme l’attente d’une photo que l’on a pris en argentique. 

C’est déjà la fin de cette première session d’atelier. Comme toujours le son, pratique dont les enfants ont peu l’habitude, donne des propositions riches et inédites.

Les carnets sonores terminés
Les carnets sonores terminés