Enregistrement

RECHERCHE 2 - Premiers entretiens

Publié par Juliette Chartier

Cinéma et audiovisuel Documentaire sonore

En parallèle, notre travail de recherche et de création se poursuit. Nous avons eu accès à des archives sonores de travaux de collectages menés par des habitant.e.s douarnenistes, notamment certaines archives de Radio Conquet. Un trésor pour les documentaristes que nous sommes et dont nous étions à la recherche depuis si longtemps ! C’est une radio que beaucoup de gens écoutaient, ici à Douarnenez, pour rester en permanence au courant de ce qu’il se passait en mer. 

Cette semaine, nous allons rencontrer deux femmes de marins qui acceptent de nous parler malgré le contexte perturbé. Deux rencontres fortes, qui se passent sans micro pour commencer à créer un lien de confiance. 

Avec le port du masque face aux personnes âgées, nous nous rendons compte de la difficulté de créer la rencontre et de passer par le langage non verbal pour rebondir sur ce qui vient d’être dit. Nous essayons de tout faire passer par les yeux.

Fronton de l'église de Douarnenez
Fronton de l'église de Douarnenez

Dans leur témoignage, des anecdotes nous marquent. 

Lorsque l'on demande à Andrée quel est son rapport à l’océan, elle nous répond : “J’avais peur, je ne voulais pas y aller.” 

D’ailleurs, la première chose qu’elle nous dit lorsque nous arrivons c’est que le métier de marin est un métier dangereux. 

Elle raconte aussi que son mari aimait la mer : “Pour lui c’était un rêve, moi c’était pas mon avis. Je suis peut être timorée mais j’aime pas sentir la mer sous mes pieds, j’aime pas perdre pied. Quand je vais à la mer je reste sur la bordure”. 

Fin mai, lorsque nous reviendrons, nous avons prévu de les revoir. Quand on évoque avec elle la possibilité de revenir avec nos micros, elle s’exclame : “ J’aime pas m’entendre. J’aime pas ma voix. ” 

Nous pensons au lien entre la voix et le corps vieillissant. En effet, il peut être encore plus déconcertant de s’entendre pour les personnes âgées car cela est une preuve du temps qui passe et de leurs pertes d’aptitudes progressives. 

Nous évoquons avec Andrée le parallèle entre ces témoignages de femmes dont la parole a été invisibilisé et notre situation à nous, jeunes femmes en 2021.

Nous avons à coeur de mettre en avant leur parole, dans une idée de sororité intergénérationnelle, pour avoir des modèles de femmes puissantes. Cette parole et cette figure de la femme de marin est toujours un tabou aujourd’hui, comme le montre les quelques refus que nous avons essuyé de la part de femme pensant “qu’elles n’avaient rien à dire”. On nous a même dit lorsqu’on parlait de notre documentaire que nous ferions mieux d’ ”aller voir les marins, c’est plus intéressant, il y a plus de choses à dire.” 

Ces femmes n’ont jamais été habituées à être dans la lumière, contrairement à leurs maris. 

Andrée le dit bien, son père se surnommait “le seigneur de la mer”

Comment, en tant que documentaristes, se saisit-on de cette donnée pour qu’elle devienne intention : cette incapacité de parler, ce manque d’intérêt pour soi-même ? C’est cet “à côté” qui nous intéresse. Comment restituer le silence, le non-récit de soi ? 

Nous savons que cela va prendre du temps pour que cette parole se délie, pour que la confiance se fasse. Ce temps long est primordial. Mais il est fragile : la mémoire de ces femmes, ayant vécu l’âge d’or de la pêche à Douarnenez, disparaît. 

Andrée nous le glisse à la fin de l’entretien : “un vieux qui meure, c’est un livre qui se ferme.” 

En chemin vers le port de Douarnenez
En chemin vers le port de Douarnenez