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[Écriture] Résumé des pistes de travail.

Publié par Mathilde Soulheban

Journal du projet

Il m’embrassa, me dit adieu, fit une pirouette et disparut. Je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Notre amitié dura six semaines, mais ses suites en dureront autant que moi.

Rousseau, Les Confessions.

 


Au bout de quelques mois, j’ai trouvé une série de titres qui me plaisaient, qui me paraissaient nommer autant de mouvements pour composer les différentes parties du texte.

 

 I. La chasse au singe qui porte aux oreilles des boucles en fer.

II. Le diamant du voleur de cuillères.

III. Les jardins suspendus de Jéricho.

IV. Là où les esprits chiens montent la garde.

V. La plaie qui ne guérit pas.

VI. Le moine aux chiens.

VII. Six mille dollars (pleins d’essence).

VIII. Marseille fermée cette nuit.

 

Je n’arrive pas à tenir de journal d’écriture, alors, retracer l’histoire de ces titres, ces zones que j’ai délimitées, ne peut se faire qu’en relisant les notes, en cherchant dans les cahiers et les fichiers de telle ou telle semaine. J’ai commencé à écrire sur des feuilles en papier kraft format A4, maintenant j’ai un petit carnet bleu et j’arrache des pages minuscules en les rangeant selon la partie à laquelle elles appartiennent. J’ai oublié certains fichiers, je les retrouve, et je m’étonne. 

 

 I. La chasse au singe qui porte aux oreilles des boucles en fer.

Cette scène s’écrit à partir d’une série de mythes étiologiques d’Afrique de l’Est : le travail du métal a d’abord été l’oeuvre de singes monstrueux avant d’être transmis aux humains. La preuve, certains singes auraient encore aujourd’hui (au XIX°, date de notation par écrit des mythes) des boucles d’oreilles, ou garderaient de petits objets en métal datant de cette époque antédiluvienne.

 

II. Le diamant du voleur de cuillères.

Cela vient de l’étymologie du nom Khashoggi, qui signifie vendeur de cuillères en Turc. Le diamant Khashoggi existe vraiment. J’ai décalé dans la fiction cette idée et un autre contexte, celui des mines clandestines qui fournissent le monde en or et en diamants. 

 

III. Les jardins suspendus de Jéricho.

Cette partie est inspirée par le travail de l’anthropologue James C. Scott, sur l’origine des États dans le Croissant Fertile, la rupture (ou l’absence de rupture volontaire) entre citadins et barbares. Je la mêle à l’exploit technique et mythique des jardins suspendus : comment ont-ils été construits et surtout entretenus ?

 

IV. Là où les esprits chiens montent la garde.

La nouvelle de Cervantès Le dialogue des chiens a inspiré la forme finale du texte :

Chaque semaine, on nous sonnait l’alarme : au cours d’une nuit très obscure, j’ouvris l'œil pour voir ces loups dont il était impossible de protéger le troupeau. Je me postai derrière un buisson. Les chiens, mes compagnons, passèrent. D'où j'étais, je surveillai, et vis deux bergers prendre un des meilleurs moutons de la bergerie et le tuer de telle façon que le lendemain, il semblait que le loup avait été le bourreau. Je restai pantois, sidéré, lorsque je vis que les bergers étaient les loups, et que c'étaient ceux-là mêmes qui devaient garder le troupeau qui le dépeçaient. Sans tarder, ils informaient le patron d’une nouvelle victime du loup, ils lui remettaient la toison et une partie de la viande, et eux, ils se mangeaient le reste, le meilleur. Le patron recommençait à les réprimander, le châtiment des chiens recommençait aussi. Il n’y avait pas de loups. Le troupeau diminuait. J'aurais voulu tout révéler, je me trouvais muet. (Cervantès, traduction de J.R. Fanlo)

 

V. La plaie qui ne guérit pas.

Le canal de Suez a été fermé par intermittence à l’occasion de différents conflits. Les bateaux qui l’avaient empruntés mais ne l’avaient pas quitté à temps étaient immobilisés. Certains restèrent sur le canal, avec leur équipage, pendant plusieurs années. Cette situation absurde nourrit la scène, ainsi que l’histoire de la construction de cette rigole entre deux mers. 

 

VI. Le moine aux chiens.

C’est à partir d’un fait divers : un temple en Asie prétendait accueillir et s’occuper de tigres en liberté. En réalité, c’était un lieu de traffic d’animaux sauvages, lors d’une inondation, un congélateur a disjoncté et des dizaines de tigres morts-nés ont commencé à pourrir dans le sous-sol. La matière première, la matière vivante trouve ainsi sa place dans le recueil. 

 

VII. Six mille dollars (pleins d’essence).

Khashoggi raconte sa naissance au fond d’un puits de pétrole. Très inspiré par la lecture de BRUT, un recueil de textes critiques et littéraires sur l’exploitation pétrolière en Alberta. C’est le seul des deux textes écrits en amont du projet que j’ai fini par conserver, et il subit d’importants remodelages. 

 

VIII. Marseille fermée cette nuit.

Il y a un panneau sur une bretelle de l’autoroute menant à Marseille qui est mal placé. Le mot “sortie” disparaît entre Marseille et fermée, alors c’est toute la ville qui a l’air condamnée. D’autres textes du recueil parlent du transit des matériaux à travers le monde, alors ça me paraît possible de finir dans un port pratiquement désaffecté, en tout cas beaucoup moins utilisé qu’avant, que je connais pour y vivre et qui porte les traces de ces traversées.