"Têtes Brutes" est un un recueil de huit pièces brèves, huit dialogues entre deux personnages qui sont en prise avec toutes sortes d'idées et de problèmes.
Il est inspiré par l'origine des matières brutes auxquelles nos sociétés occidentales n’accèdent qu’après raffinage et transformation (pétrole, cirage, sucre, diamants, silicium…).
À l’obtention de mon diplôme d’écrivain-dramaturge à l’ENSATT en juin 2017, j’ai décidé de mettre mon parcours de jeune écrivain de côté, après avoir passé sept ans en fac et en école de théâtre.
L’année 2017-2018 a donc été occupée, dans le cadre d’un service civique, à concevoir et mettre en place des ateliers de lecture, d’écriture et de théâtre à destination de gens qui apprenaient le français. J’étais à la recherche d’un lieu où je serais utile, puisque dans notre monde on se sent vite inutile.
"Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui, le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité."
Thomas Sankara
"Écoute mec, la plupart d’entre nous s’accorderait là-dessus : nous vivons une époque sombre et stupide, mais est-ce que nous avons vraiment besoin de fictions qui ne font rien que dire à quel point tout est sombre et stupide ?"
David Foster Wallace
J’ai mis du temps à être certaine de la couleur de l’essence que mes parents mettaient dans le réservoir de la voiture. Dans les stations-service, quand on la voit, c’est qu’elle est répandue par terre et on peut la confondre avec de l’huile de moteur. Dans les bidons elle est jaune, mais est-ce qu’un liquide si clair peut produire une fumée si noire ? Et puis on dit l’or noir. Surtout que les collants en nylon, c’est du pétrole aussi. Alors je ne savais pas. Sur internet il y a des vidéos de jeunes hommes qui ont perdu des paris et qui jouent à se jeter dans des cuves de pétrole à raffiner. Ça colle à la peau et ça ne part pas au jet d’eau, ils prennent peur, ils hurlent.
C’est difficile à saisir, ce que c’est, l’origine de ce qui est dans les produits manufacturés : le silicium dans les circuits imprimés, comment on fait un fil de cuivre qui traverse l’océan. Saisir, s’approprier quelque chose d’aussi lointain, s’entraîner (peut-être que c’est un entraînement), à rêver avec la matière de notre monde et ses paradoxes terrifiants pourrait se faire dans une dynamique qui s’approche de celle décrite par Ponge :
"L’homme… par son activité à le dominer risque de s’aliéner le monde ; il doit à chaque instant, et voilà la fonction de l’artiste, par les oeuvres de sa paresse se le réconcilier."
Un projet comme celui-ci n’a pas pour but d’être documentaire, ne trouve pas sa légitimité dans la vulgarisation, mais dans son efficacité au plateau : mettre des mots, aussi naïfs qu’ils soient sur des procédés invisibles (d’autant plus qu’ils sont innommés), lancer la parole à l’assaut du monde pour parvenir à une forme de connaissance se fera à échelle minuscule, dans des pièces d’une vingtaine de minutes tissant ensemble une sorte d’encyclopédie idiote du monde contemporain.
J’ai commencé à travailler sur des paraboles, des mythes “en carton” dont les ressorts sont visibles pour mon mémoire de fin d’étude : parler du monde contemporain sans renoncer à la fantaisie et aux histoires drôles, à la chair de cette vie qui est la nôtre malgré l’effervescence du quotidien des catastrophes. Ne plus utiliser les corps des victimes comme lieu de réflexion.
Cela ouvre la liberté et la possibilité d’écrire sans porte-à-faux, en mettant le jeu en avant. De construire des personnages extraordinaires qui ne se font pas allégories et de leur donner une langue qui ne rend de compte à aucune vérité, sinon d’une quête existentielle, quotidienne, partagée par tous.
Par le(s) artiste(s)