unenouvelle

[Écriture] Le bol de sang.

Publié par Mathilde Soulheban

Journal du projet

Pendant mes premiers séjours à Aiglun, j'ai écrit quelques petites nouvelles, sans doute à cause du dépaysement. J'étais en phase de recherche pour Têtes Brutes, ça me changeait les idées d'inventer une petite histoire. Mais celle-ci je vais la continuer sûrement. 

Je devais raconter l’histoire du bol de sang, mais je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir, et j’ai perdu le brouillon.

C’est un conte.

La frontière à vif se tordait sur elle-même.

Les soldats de part et d'autre disaient :

« Quand elle finira par craquer, elle s'ouvrira sur l'abîme et les esprits de tous les morts écharpés remonteront  à la surface et hurleront de terreur : Quoi ? On se bat encore ici ? Moi qui ai donné ma propre vie et pris celles-là, nos enfants, mes frères, etc... tout est saigné ! »

L'un des stratèges appuyés contre cette frontière était malade d'insomnies. Il demanda aux dieux de mettre un terme à tout ça.

Mais qui s'intéresse aux stratèges ? Les joueurs aux coups carrés, les oncles des orphelins, les hommes-enclume.

L'hiver et les os blancs, sa demande trouva pourtant deux chemins.

Un raccourci, parce qu’il tomba dans une embuscade et rejoignit les esprits atterrés, et un autre, rocailleux, dans le sommeil d’un seigneur de guerre.

Ce seigneur de guerre s'était endormi en priant et rêvait. Les dieux lui écrivirent :

« Tu veux interrompre la guerre. »

« Bois un bol de sang chaque jour. »

Un bol de sang ?

À son réveil sur les marches du temple, un bol noir avec des marques. L'odeur du sang suspendue en rond.

Les petits novices avec leurs sandales de bois, jeunes visages aux tempes claires, lui apportèrent un manteau pour qu'il n'ait pas froid après avoir prié. Ils ne dirent rien du bol.

Un bol de sang, cireux, gras, ne se remarque pas.

Le sang de qui ? Le seigneur de guerre songeait en buvant.

Car ce sang avait le goût de son propre sang, un sang d’humain.

Le sang de qui ?

La dernière gorgée. Les nouvelles du matin suivant furent surprenantes ; la paix signée dans l'après-midi.  Le seigneur s'endormit au soir du deuxième bol de sang.

Un grand bandage de silence et de chants couvrit la frontière ; elle était pansée.

Le seigneur de guerre but son troisième bol de sang à la cuillère.

À suivre.