Jessie revient sur ses premiers moments avec la classe...
Les premières fois que j’ai rencontré les enfants c’était chaque fois deux jours. C’était court et intense.
J’étais là pour les exposés, les feuilles de Wikipédia avec mille mots incompréhensibles, pour eux, pour nous. On leur a demandé de poser ces feuilles, de raconter ce qu’ils savaient, certains avaient des choses à dire, d’autres paniquaient un petit peu de ne plus avoir de feuille protectrice. On a ri. On leur a dit que nous aussi on était incapable de comprendre le système cardiovasculaire de la pieuvre. Certains avaient fait des maquettes, des petits animaux en pâte fimo. Et certains venaient avec leur histoire de vie troublante et passionnante. Quand on rencontre des enfants et qu’ils parlent d’eux même, on rencontre des grands pères, des trop tôt partis, des mamans qui ont un peu fait l’exposé, des grandes soeurs qui font des dessins, des beaux-pères, des belles-mères, des maisons, des parents en vacances, un paysage.
Une des première chose qu’on a appris je crois, c’était que l’insouciance et la légèreté des
enfants, nous l’avions rêvé. Ils étaient dans le monde avec lui, ils étaient le monde, tous les
grands thèmes de notre société, les enjeux, ils les connaissaient. Ils avaient des références bien marquées, on les connaissait, on devinait où ils les avaient pris, dans l’internet, dans la télé… Mais ce qui nous intéressait c’était l’imaginaire, ce qu’ils feraient, inventeraient avec leurs corps, leurs voix, deux, trois cailloux. Comment ils rêvaient ?
Armés avec Romain de nos nombreuses années d’école de théâtre, il nous paraissait évident que chacune de nos consignes serait détournée, transposée mais que nenni ! C’était évident, ils étaient habitués aux cadres et aux consignes et c’était normal. Il nous fallait donc expliquer, raconter qu’ici sur ce petit plateau inventé (dortoir des maternelles, salle de café des professeurs, bibliothèque - enfin pour nous plateau de théâtre) il n’ y aurait rien de mauvais, rien de pas bon, rien de ridicule, rien d’impossible. Et pourtant nous ne renions rien de nos exigences, nous étions conviés comme acteur-metteur en scène-auteur et ils étaient des acteurs, ils le comprenaient. Ce que nous attendions, attendons, était dans l’ailleurs de la consigne, que nous ne voulions pas être contentés, que nous ne dirions pas c’est à droite-à gauche, lève la tête, qu’ils inventeraient et
que nous ne travaillerons qu’à partir de cette invention.
De dire à cet enfant qui joue l’abeille, sans la jouer, au delà de toute imitation, qui joue l’abeille, comme est une abeille pour lui, comme il la voit au travers de son regard d’enfant, cet enfant timide lui dire qu’il est le meilleur acteur du monde et que dans ces quelques mètres carrés de bibliothèque réservés à nous, il y a 400 personnes bien cachées (peut-être… et en réalité sans trop d’effort, nous pouvions les sentir ces 400 personnes ) qui l’attendent et qui surtout ont envie de le voir et lui dire pour finir : « maintenant à toi, quand tu veux. »
Et voir cet enfant timide devenu abeille se métamorphoser et devenir le meilleur acteur du monde dans notre bibliothèque plus grande que le plateau des Amandiers pour nous, pour eux plus grande que le champs aux mille vaches, c’est une joie immense. Une joie sans prix.
S’ils peuvent avoir entendu, effleuré, compris, senti l’idée qu’il existe des espaces ou qu’il est possible d’inventer des espaces où il n’ y a pas de bon et de mauvais, qu’on peut juste faire mieux ou chercher à côté, et que ne pas trouver ou se tromper cela permet d’abandonner des idées, de faire des choix et que quand on crée on ne fait que des choix, alors « se tromper » ne peut être que salvateur, nous aurons tout gagné.
Le spectacle pour nous ce n’est pas un objectif, nous n’organisons pas de kermesse, ce ne sera pas le meilleur spectacle du monde, oui certains ne parleront pas assez fort, oui certains oublieront leur texte et peut-être pas, d’ailleurs pour nous c’est déjà le meilleur spectacle du monde.
C’est une belle idée et c’est facile de l’écrire, mais c’est celle qui nous accompagne, elle est sincère ; nous ne leur apprenons rien qu’ils pourraient apprendre dans un cours de théâtre amateur, aucune technique, ce n’est pas notre endroit, nous apprenons avec eux car nous travaillons comme tous les jours dans notre vie professionnelle et nous sommes avec avec ces enfants-acteurs animés par un seul souci : que l’atmosphère soit riante et exigeante.
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.