Quel est notre rapport à l’Animal aujourd’hui? Que nous apprend-il de lui? Que nous apprend-il de nous? L’Animal comme sujet d’étude, comme sujet de réflexion, comme miroir? L’homme est-il resté un animal (sauvage)? A l’heure où l’homme décime des espèces en quelques années se pose la question de savoir comment nous pouvons nous permettre ce génocide de masse. Est-ce parce qu’un chien, une vache, un loup, un lézard, un oiseau valent moins qu’un être humain ? Mais qui décide de cela? Il est temps de regarder nos cousins éloignés dans les yeux et d’essayer de comprendre comment nous en sommes arrivés là... Il y a dans la jeune enfance un instinct proche de celui de l'Animal. Cet instinct est ensuite progressivement contenu par nos sociétés, et l'âge adulte n'est qu'un effacement de cet état. Qui donc n'a pas rêvé de redevenir un enfant ? Qui donc n'a pas rêvé d'être un animal ? Il me semble idéal que cette création passe par le biais des enfants, de leur candeur, de leurs corps moins normés et plus instinctifs, de leur sens de l'observation plus aigu, de leur imaginaire plus large parce qu'ils sont encore chaque jour en contact avec lui grâce au jeu. De ce jeu à celui de l'acteur, à ceux des animaux, il n'y a qu'un pas...
Depuis longtemps maintenant, l'Homme se différencie de l'Animal, des animaux. Et dans cette différenciation s'entend implicitement une supériorité de l'un sur l'autre. Pourquoi ? Le raccourci que l'on pourrait employer : les Animaux sont inférieurs à l'Homme car ils n'ont pas de conscience contrairement à ce dernier. Et qu'en savons-nous ? L'Homme, ou en tout cas certains êtres humains, ont depuis quelques temps menés différentes études sur différentes espèces animales. Et les résultats sont souvent déconcertants. On découvre que certaines espèces animales sont capables de comportements et émotions attribués jusque-là à l'Homme : peur, compassion, amour, ruse, organisation, mensonge, tristesse, deuil, résignation, invention, langage, reconnaissance, télépathie, joie, bonheur, réconfort, empathie, consolation, etc. L'étude de ces comportements permet dans certains cas d'attribuer à l'Animal... une conscience. A partir de là, la supériorité présumée de l'Homme sur l'Animal se révèle être une supercherie. Et il convient donc d'interroger le pourquoi de cette hypothèse si bien ancrée et qui implique nombre de nos comportements envers les animaux. En bref, si nous étions conscients de toutes les capacités cognitives potentielles des animaux, agirions-nous de la même manière ? Probablement non. Et c'est là l'objectif de ce travail : évoquer cette question, cette prise de conscience. Je conçois le théâtre comme un art qui se doit d'interroger en même temps qu'il divertit. Je rêve donc un spectacle qui éclaire les spectateurs sur le monde animal sans pour autant s'arrêter à une simple conférence sur les animaux, un spectacle qui nous en apprend et nous fait rêver. Heureusement, ce sujet est une source de création sans fin car l'animal est pour l'acteur une source d'inspiration sans limite. Souvent on peut voir des comédiens s'inspirer de la tenue du cheval, de la puissance du taureau, de la souplesse du singe, du chant de l'oiseau. Souvent on entend des pédagogues de théâtre évoquer l'"animalité" qui sommeille en chaque acteur. Souvent on distingue les acteurs "sauvages". Et il y a en effet quelque chose qui relève de l'animal dans la manière qu'a l'acteur de se déplacer, d'agir par instinct aussi. Ce me semble donc être un beau sujet de création théâtrale. Ce spectacle pourra donc informer et questionner, puis par l'imaginaire et la fiction amener les spectateurs à pousser la réflexion : quel est MON rapport à l’animal aujourd’hui ? Et cette question sous-entend volontairement deux sens : quel est mon rapport à l'Animal et quel est mon rapport à ma propre animalité ?
Pour ce qui est de la forme, elle découle directement et logiquement du fond. Je veux parler des animaux, or les animaux évoluent principalement en extérieur, c’est donc un spectacle hors les murs. Il me semblerait inapproprié d’aborder ce sujet dans un théâtre. Et le hors les murs permet une grande diversité de décors possibles dont certains vont correspondre davantage à tel animal et certains à tel autre. D’autre part, bien qu’en voie d’extermination par l’Homme, il existe un nombre d’espèces animales assez conséquent, d’où l’idée d’un spectacle sous forme de mini-feuilletons, et même j’emploierai le terme de «pastille». Une pastille pour un acteur pour un animal, que l'on pourrait appeler animal totem. Le nombre de pastille est illimité (ou quasiment : autant qu’il y a d’espèces animales sur cette planète), elles peuvent se présenter individuellement ou groupées, former des combinaisons qui racontent des histoires différentes mais traitent toujours de mêmes sujets de fond. Cette forme permet aussi de jouer ces pastilles dans des cadres tout à fait variés, du festival de théâtre en extérieur à la conférence sur l’écologie en passant par le salon de l’agriculture ou la salle d’attente de clinique vétérinaire. Cette forme peut être prévue mais elle peut aussi surgir de nulle part, débarquer à l’improviste. Mon intention n’est pas de faire du théâtre invisible, il s’agit bien là d’assumer une forme de théâtralité qui soit claire et assumée (que ce soit par le jeu des comédiens, par l’ambiance ou par des artifices), mais l’idée d’un acte théâtral qui pourrait débarquer n’importe où n’importe quand me plaît beaucoup.
Pour parler plus précisément du processus de création, j'envisage plusieurs étapes : de la documentation pour moi-même et pour les acteurs. D'abord de façon assez classique : mise en place d'une bibliographie exhaustive, recherches, etc. Mais aussi par un procédé plus atypique : la présence pendant certaines répétitions de "spécialistes" du monde animal (agriculteurs, vétérinaires, éleveurs, dresseurs, etc). A ces derniers, je proposerai de préparer en amont une sorte de conférence sur un animal ou plusieurs, en s'appuyant sur les connaissances de ceux-ci dues à leur activité. Cette base quasi-documentaire pourra servir de matière à la création. Une fois toute cette matière accumulée (celle en autonomie et celle des spécialistes) peut commencer la phase de création selon deux axes distincts : l'écrit et l'imaginaire. Pour cela je serai accompagné de Jessie Chapuis (autrice, actrice et metteuse en scène, membre de la compagnie Alphageste) qui aura en charge d'écrire aux acteurs des différentes pastilles des textes pour leur animal totem. De leur côté les comédiens seront amenés à improviser, une part de ces pastilles s'inventera au plateau. Et comme il ne s'agira pas d'imiter les animaux, ils seront en charge de faire naître des figures en partant de leur animal, en s'inspirant de leur comportement, de leurs caractéristiques physiques, de la manière dont ils se déplacent, dont ils s'expriment, etc. Pour résumer tout cela, ces pastilles seront donc des solos d'acteurs-animaux devant lesquelles on apprend des choses mais en écoutant une histoire, l'histoire de ces créatures hybrides que seront la rencontre de ces acteurs et de leur animal totem.
Ce que nous pouvons déduire de tout cela : il est possible de faire le spectacle que je rêve avec les élèves de Création en cours, il ne manque aucun élément : des comédiens, une variété de décors possibles, de la documentation, des imaginaires. Et même, il est possible de tester le processus de création quasiment tel quel : l'intervention d'un/une spécialiste, une étape de documentation des acteurs, puis un travail de création (en développant l'imaginaire des participants et grâce aux écrits de Jessie Chapuis). En plus de l’évidence du bénéfice qu'un tel projet pourrait avoir dans un cadre de transmission, il s’avère que Création en cours est le cadre parfait pour moi pour développer ce projet. J'ajouterai pour finir que j'interpréterai la première pastille et que ce sera l'objet de ma recherche artistique dans le temps de Création en cours. J'ai ce thème à coeur depuis bien longtemps et je souhaite l'éprouver moi-même avant de le proposer à d'autres acteurs.
Par le(s) artiste(s)