Ce projet multidisciplinaire (théâtre/musique), constitué de comédiens et de musiciens au plateau, est le résultat d’un travail d’adaptation, de traduction et d’actualisation de la pièce Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth. Elle transmet l’idée du théâtre populaire «enraciné dans le peuple et le pays » et celle de travail d’ensemble. La recherche artistique se penche sur les définitions de la jeunesse d’aujourd’hui, de la recherche d’identité, de la définition de «l’autre» et de l’égalité homme-femme. Elle questionne les phénomènes de société et l’idée d’oppression de l’individu au sein de celle-ci ou d’un groupe. Je voudrais observer la manière dont se positionnent ces enfants ou jeunes adolescents face aux différents sujets de la pièce et de notre société. Quelles sont les différences et ressemblances entre aujourd’hui et les années 1930 ? Comment actualiser cette pièce ?
Ödön von Horváth écrit "Casimir et Caroline" dans les années 1931/32, une période qui marque la fin de la République de Weimar et qui annonce une période d’extrémisme terrible. L’action se déroule dans une Allemagne où le chômage touche la plupart des habitants, où la crise économique et sociale est à son apogée.
Horváth décrit "Casimir et Caroline" comme étant une « pièce populaire ». Il témoignait alors :
"(…) j’ai dans l’idée la continuation, le renouvellement du vieux théâtre populaire, d’un théâtre qui parle de problèmes de la manière la plus populaire possible, des questions qui préoccupent le peuple, ses soucis simples, vus avec les yeux du peuple. Un théâtre populaire enraciné dans le peuple et le pays, qui donnera peut-être envie à d’autres auteurs d’aller dans le même sens, afin de bâtir un théâtre populaire véritable qui fasse appel à l’instinct et non à l’intellect du peuple. (…) Je veux montrer les gens tel qu’ils sont, c’est-à-dire, comme je les vois."
La pièce s’ouvre sur une fête qui se déroule de nos jours. La crise économique n’est pas loin et la pauvreté sévit de plus en plus au sein du peuple. Au centre de cet évènement se trouvent le couple Casimir et Caroline - lui, au chômage et elle, d’humeur à s’amuser. Lassée du pessimisme et des reproches de son ami, Caroline décide de profiter de sa jeunesse, de sa fraîcheur et de sa joie de vivre et s’adonne aux plaisirs de la fête. Elle y fait alors des rencontres, principalement avec des hommes qui, eux, profitent de sa naïveté et son désir d’aventure.
Autour d’eux s’animent les festivités, cachant la lourdeur du quotidien et rassemblant des personnages du bon bourgeois au petit ouvrier malheureux.
Au fil de la pièce, on observe ces jeunes gens se disputer, se chercher, se retrouver pour finalement se perdre à jamais.
C’est donc sur un fond de drame social que se déroule la pièce qui prend pour thématiques principales l’amour, l’émancipation et l’évolution des mœurs, mais aussi l’identité et la perception de l’autre. Ödön von Horváth tente alors de dépeindre un monde dans lequel l’altruisme, l’honnêteté et la justice n’existent pas. Les personnages souffrent, pour la plupart, de la crise et de la misère pécuniaire ce qui accentue leurs problèmes personnels et relationnels. Les statuts sociaux ainsi que les positions de force dominent les échanges des uns avec les autres.
Mon désir de me confronter à Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth était et est avant tout suscité par la force qu’a ce texte de traiter à la fois de l’individu et de la société, d’hier comme d’aujourd’hui.
En 2015, à la fin de mes études de mise ne scène, j’ai voulu, dans un premier temps, proposer une nouvelle traduction et adaptation de la pièce Casimir et Caroline, que j’ai intitulé ET L’AMOUR NE S’ARRETA JAMAIS. Dans l’idée de rendre la langue plus actuelle et de me concentrer sur la jeunesse, le duo amoureux et son échec, j’ai revisité ce drame populaire et lui ai donné pour titre ce qui figure déjà comme épigraphe dans l’œuvre originale. « Que l’amour ne s’arrête jamais » est ce dont rêvent ces jeunes gens qui, aveuglés et figés, sans moyens ni espoirs ni croyances, finissent par nous démontrer le contraire.
Aujourd’hui, tout comme en 2015, il paraît évident que la jeunesse, qui est centrale dans l’œuvre d’Horváth, le reste et le devienne davantage dans cette adaptation. Quels sont les points communs entre les jeunes d’Horváth et ceux d’aujourd’hui ? Quels sont les évolutions et quels sont les révolutions ? En me concentrant sur ces jeunes gens, j’ai décidé, lors de ma précédente étape de travail qui consistait à traduire et adapter, de réduire le nombre de personnages à sept – initialement il y en avait dix-huit – et de couper et réorganiser un grand nombre de scènes. Toujours avec l’objectif d’actualiser, je souhaite encore développer un « langage » dit de « jeune » qui sera puisé dans leurs influences, leurs perceptions et leur personnalité.
C’est la raison pour laquelle je voudrais interroger la jeunesse, petite ou expérimentée, née dans les années 2000 et 2010 sur leurs impressions, leurs rêves et illusions dans notre monde actuel. Je voudrais aborder les différentes thématiques sous des formes distinctes et adaptées aux différents participants/acteurs/public.
Dans cette pièce, où l’humain et ses actions sont montrés, dénoncés, loués, remis en question, l’envie de liberté n’est qu’illusion. J’y ai reconnu le désir d’une vie meilleure lié à une dévorante impatience, l’envie de se distraire pour oublier la misère, mais aussi la peur de la chute sur le plan social, ce qui pour moi sont des sujets très actuels. A l’époque tout comme de notre temps, cette chute, provoquée d’ordinaire par le chômage, représente l’exclusion de la société. Porter un regard de la jeunesse sur la perte du désir, sur les désillusions, c’est pour moi questionner la projection d’avenir meilleur que chaque individu a et que les sociétés, la politique et les médias préconisent.
Le projet de recherche artistique dans le cadre de « Création en cour » me permettrait de commencer par questionner les tout jeunes sur leur perception de soi et leur perception du monde : Qu’est-ce que l’identité pour eux ? Qu’est-ce que l’idée d’appartenance ? Qu’est-ce que « l’autre » et comment le perçoivent-ils ?
Cette pièce interroge aussi la fatalité de l’effritement des idéaux. Elle évoque la problématique du communautarisme et des discriminations qui, malheureusement, existe aussi dans notre société avec la montée de l'extrémisme. En période de crise, ce sont sans doute des problèmes récurrents. Il s’agirait de questionner les élèves sur leurs éventuels préjugés ou sur leurs idées pré-acquises ? Comment se développe ou développe-t-on la discrimination ?
Du contenu du drame, il est également possible de retenir l’histoire d’amour vouée à l’échec des deux protagonistes, Casimir et Caroline : lui, orphelin sans aucun soutien familial et chauffeur routier licencié et elle, secrétaire issue de bonne famille. Leurs différences les entraîneront à s’abandonner l’un l’autre. Mais aujourd’hui, quelle est l’image et l’idéal du couple qu’ont les jeunes générations ? Que leur renvoient la société et les médias ?
En outre, la position de la femme est, pour moi, un sujet important dans cette pièce. Chez Horváth, la femme est inférieure à l’homme, comme dans le cas d’Erna. Les femmes n’ont pas la même liberté que les hommes et ces derniers profitent de leur naïveté pour profiter d’elles.
Dans mon idée d’adaptation, Caroline sera le point central autour duquel les hommes et la seule autre femme, Erna, tourneront. Elle décide de jouer le jeu de la vie, de la croquer à pleines dents. Elle rêve de pouvoir s’envoler. Elle rêve de liberté.
Il est important et intéressant de travailler sur ce sujet avec les enfants. Le rapport à la femme et les différences de traitement entre filles et garçons me semble central dans l’éducation. Qu’est-ce que pour eux la position de la femme ? Quelle image en ont-ils et qu’est-ce que représente l’émancipation – terme qu’il faudra décliner et expliquer – pour eux ?
Noyés dans la foule des spectateurs de la fête, j’imagine que les protagonistes évolueront dans un décor simple et quotidien. Un arrière-plan parfait pour situer une histoire moderne racontant les barrières sociales, le pouvoir et les désirs humains.
Pour finir, je souhaite questionner ce qu’est la fête aujourd’hui et ce qu’elle représente pour la jeunesse actuelle. Qu’elles peuvent être les différences entre la jeunesse qui cherche son indépendance et la joie dans les festivités des années 1930 et aujourd’hui ? Que représente l’idée de la fête pour les enfants et comment l’imaginent-ils ?
Ayant baigné dans un environnement multiculturel, je rêve à imaginer un atelier avec des élèves dans lequel il serait possible de travailler sur l’aspect du bilinguisme ou de la double culture. Peut-être serait-il possible de travailler dans des écoles frontalières ou dans des écoles bilingues... Cela permettrait d’apporter de la diversité en creusant les différents modèles et idéaux entre les deux pays, de tracer des liens et de comparer les différentes cultures à travers les thématiques nommées plus tôt. Travailler sur des aspects de langue et langage propre à l’Allemand et au Français et de jouer avec ceux-là peut ouvrir sur un autre niveau de transmission qui m’intéresse beaucoup.
Je me trouve aujourd’hui dans une phase de prise de décision où je cherche la façon définitive d’aborder cette pièce et la forme que celle-là prendra. Après être passée par la phase de traduction et d’adaptation, je voudrais ouvrir mes possibilités de ressources et d’expérimentations afin de me permettre de réorienter mon adaptation. Cette phase de recherche artistique me donne la liberté de me stimuler et d’aborder des niveaux différents d’exploration.
Même si le spectacle s’adresse davantage à un public d’adolescent ou d’adultes, l’étape de travail avec les enfants me semble évidente dans le but de diriger ma recherche vers les fondements de la société et des formes d’éducation actuelles. Il m’est nécessaire de faire cette phase de recherche, d’échange et de réflexion avec des personnes qui se trouvent dans la tranche d’âge où la bascule vers l’indépendance et l’autonomie - et tous les mécanismes liés à cela – n’a pas encore été effectuée. Cela m’aidera à choisir mon axe d’adaptation et à faire des choix pour ma future mise en scène.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.