En utilisant des jeux graphiques, des illusions d'optiques, des métaphores visuelles, j'illustre des scènes où des personnages se jouent des apparences et où l'impossible devient réalisable. Dans mon projet, l'ensemble de ces anecdotes visuelles formera un livre illustré, mettant un scène un drôle d'univers, entre étrange et absurde. De la même façon, je proposerai aux enfants d'explorer les possibilités narratives de l'image à travers une série d'activités ludiques. À partir de formes, lignes, surfaces et couleurs que nous observerons dans notre environnement quotidien, nous expérimenterons divers procédés pour en extraire des idées, et les transformer en histoires. Ces recherches aboutiraient à la réalisation d'un petit livre collectif.
La nature, le calme. Alors que nous laissons vagabonder notre regard dans un paysage paisible, divers personnages apparaissent dans notre champ de vision. Certains se promènent, d’autres dorment au bord de l’eau, lisent, font du sport, pêchent ou arrosent les plantes ; des activités anodines, en somme. Mais petit à petit, en y regardant de plus près, cette apparente tranquillité prend des airs tout à fait surnaturels. Personne ne s’étonne que l’on puisse se glisser sous l’eau comme sous une couverture, qu’un nuage puisse éclater sous un tir de lance-pierre ou encore qu’un homme en croise un autre et ne soulève pas son chapeau mais bien sa tête toute entière.
Le projet que je souhaite développer est un livre illustré, qui met en scène un drôle d’univers, mêlant étrange et absurde. Mon objectif est d’y plonger les lecteurs comme dans une parenthèse où les lois de la réalité s’annulent. Ils découvriraient les différents personnages qui y évoluent et, comme s'ils les suivaient à travers les yeux d'un observateur curieux, glisseraient de l’un à l’autre au rythme de leurs péripéties farfelues. L'histoire prendrait ainsi la forme d'une déambulation visuelle.
Le livre sera composé d'un ensemble de scènettes, sans texte, que l'on pourrait plutôt qualifier d'anecdotes visuelles. Elles prendront la forme de courtes séquences composées d'à peine quelques vignettes, faisant à la fois écho à des spectacles de mime et à de petits modes d'emploi, et seront entrecoupées parfois par de grandes images plus contemplatives. C'est par l'apparition récurante de mêmes lieux et personnages que petit à petit se dessinera l'ensemble du recueil. Ainsi, les pages du livre fonctionneraient en quelque sorte comme des fenêtres, par lesquelles le lecteur pourrait découvrir ce drôle d'univers. Libre à lui d'ouvrir le livre à la page qu'il souhaite et de l'explorer dans l'ordre qui lui plait.
Les aventures que vivront les personnages sont inspirées d'éléments ou de situations banales, quotidiennes, que je m'amuse à transformer en scènes insolites. Pour cela, l’illustration est un vrai laboratoire permettant de jouer avec les apparences et les lois de la nature. Elle permet de transformer l’impalpable en quelque chose de tangible. Elle rend possible ce qui serait inconcevable dans la réalité. Ainsi, dans une image un personnage peut, pourquoi pas, enjamber l’horizon comme s’il escaladait un mur ou s'asseoir sur un nuage de fumée comme si c'était un coussin. En illustrant ces scènes sur un ton très objectif, faussement scientifique, j'aime l'idée que le livre puisse se rapprocher d'une sorte d'encyclopédie imaginaire, à la fois absurde et poétique.
Pour moi, ces anecdotes visuelles sont finalement un moyen de montrer sous une autre perspective ce qui nous entoure au quotidien et dont le fonctionnement nous paraît évident, naturel, immuable. Interroger l'habituel, comme le dis si bien Georges Perec dans cet extrait de L'Infra-ordinaire (1989) : « Ce qui nous parle, me semble-t-il, c’est toujours l’événement, l’insolite, l’extraordinaire. Il faut qu’il y ait derrière l’événement un scandale, une fissure, un danger, comme si la vie ne devait se révéler qu’à travers le spectaculaire. […] Mais ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? […] Comment parler des “choses communes“ ? Comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu’elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes. »
C'est autour de cette même réflexion que je souhaiterais travailler avec les enfants. À travers une série d'activités ludiques, j'aimerais leur proposer de jouer eux aussi avec les images pour questionner, décortiquer, réinventer leur quotidien ; et ainsi partager avec eux mon processus de création.
Tout d'abord, nous nous concentrerons sur l'observation. Pour composer ses poèmes, Francis Ponge affirmait que « le meilleur parti à prendre est de considérer toutes choses comme inconnues, et de se promener ou de s’étendre sous bois ou sur l’herbe, et de reprendre tout du début ». Dans Le Parti pris des choses (1942) il décrit ainsi sous forme de courts textes des éléments choisis pour leur apparente banalité et tente d'en restituer leur originalité. Les premières séances avec les enfants seront très proches de cette démarche. Nous chercherons à mettre de coté toute signification, pour essayer de percevoir les choses d'un point de vue purement formel. À travers une série d'exercices d'observation et de représentation, nous travaillerons autour des formes (un rectangle peut par exemple être la couverture d'un cahier, une fenêtre, une peinture dans un cadre, l'ombre d'un poteau...) et nous nous entrainerons à synthétiser ce que nous voyons (un arbre peut ainsi se résumer à un rectangle allongé : le tronc, surmonté d'une forme organique : le feuillage).
Dans un deuxième temps, il s'agira de se réapproprier ce matériel graphique : le réinterpréter, le détourner pour tenter de générer de nouveaux sens. À la façon des artistes surréalistes (dont je m'inspire beaucoup dans mon travail) qui utilisaient le jeu pour encourager la création, je proposerai aux enfants une multitude d'activités ludiques pour les guider. En partant de contraintes simples de dessin ou d'écriture, nous jouerons par exemple à associer des idées (si le cadre rectangulaire imaginé précédemment ne contenait pas une peinture mais une fenêtre ?), à réinterpréter des formes (si le feuillage de l'arbre nous fait penser à la forme d'un nuage, peut-il se mettre à pleuvoir ?) etc... Ces séances alterneront entre travaux individuels et collectifs, mais aussi entre des temps d'expérimentation et d'autres de mise en commun où nous commenterons nos résultats.
Grâce à ces investigations, nous aurons collecté le matériel nécessaire pour créer nos histoires, nos anecdotes visuelles. Parmi les différentes pistes que nous aurons ouvertes, nous sélectionnerons celles qui nous semblent les plus intéressantes afin que chacun puisse développer une petite narration plus élaborée. Après avoir défini le format de notre livre, les enfants illustreront leur histoire sous forme de petite séquence, que nous réuniront pour créer un recueil. Nous finaliserons le projet par la réalisation de ce livre collectif, dont chacun pourra garder un exemplaire.
Il serait également intéressant de pouvoir investir une des salles de l'école pour afficher petit à petit les expérimentations des élèves, à côté de celles que je mènerai pour mon livre. Faire participer les enfants à la mise en place progressive de ce lieu serait aussi un moyen de générer des liens forts entre les deux recherches, de les commenter et de s'en alimenter tout au long du projet. L'ouverture de cette exposition au public serait une façon de clore le travail et d'en donner une vision d'ensemble.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.