Margot Behr et François Gérard sont designers, chercheuse et plasticiens. Ils font le pari de placer l’étude des tâches ménagères au centre de leur pratique : la proximité des termes « ménager » et « aménager » les a amené à interroger le design et l’architecture en parlant de balais. Ce binôme regarde les savoir-faire locaux par le prisme des outils ménagers (seau, balai, torchon, brosse…). En travaillant aux côtés des artisans, des écomusées, des archives, il retrace l’histoire d’objets ordinaires. Le duo partagera avec l’école qui les accueille leurs histoires des outils ménagers et proposera aux enfants de devenir designers-chercheurs. Ils leur transmettront leur méthodologie de design pour fabriquer un attirail d’outils ménagers régionaux qu’ils transfigureront pour les adapter à leur environnement. Une démarche de l’infra-ordinaire à l’extra-ordinaire ; des arts populaires vernaculaires au design prospectif.
Prenons un balai, un simple balai. Nous en avons tous un chez nous. Nous nous en servons régulièrement, pour ramasser la poussière, un verre brisé par terre. Mais nous ne nous attardons que rarement sur cet objet. Je vous l’accorde, ce n’est pas un objet qu’on a envie d’exposer, de montrer. Rarement vous présenterez à vos invités le nouveau balai que vous venez d’acheter. D’ailleurs, lorsque vous l’avez acquis, vous avez choisi le premier balai proposé au supermarché. Après tout, ce n’est qu’un balai, on n’a pas besoin de réfléchir des semaines à l’achat d’un nouveau balai. Une fois acheté, le balai sera bien souvent rangé à un endroit où on pourra oublier sa présence : dans le cellier, sous l’escalier, le long du frigo ou de la commode. Enfaite, ce n’est pas beau un balai, c’est fait pour ramasser la crasse, la saleté, les miettes, les restes… Ce n’est pas noble de passer le balai, et puis c’est un objet sale, poussiéreux, donc oui, cachons-le. D’ailleurs on passe souvent le balai à la fin d’un repas, d’une cérémonie, après les moments réjouissants, là aussi on se cache, remettre au propre, ranger, ce n’est pas très noble comme travail. Peut-être exhiberez-vous votre aspirateur Dyson, fleuron de technologies, plus puissant, plus silencieux, vous l’empoigneriez bien à bout de bras pour nettoyer, avec fierté et satisfaction.
Prenons un balai, non, pas un simple balai. Avant la standardisation des processus de production, un balai avait les atours du territoire où il était fabriqué. Il dépendait de la personne qui le façonnais, l’artisan du village, la femme dans un corps de ferme. C’est une histoire des objets mise de côté que nous abordons aujourd’hui, celle d’objets régionaux. Ceux-ci sont intrinsèquement liés au lieu qui les voient naitre, en témoigne le choix des végétaux utilisés. Le bien nommé genêt à balais (Cytisus scoparius) se trouve en Bretagne, mais aussi en Ardèche ou en Lozère où les rameaux servaient de chaume et de brosse. Cet objet est lié à la composition du sol et du climat, on fabriquera des balais avec des genêts où le sol est sableux ou limoneux, dans des milieux non cultivés, dans des plaines, en altitude, car la plante résiste très bien au froid. Un balai a aussi une forte charge symbolique, un potentiel narratif. Il peut être mal vu de balayer avec un balai en genêts. Celui-ci est associé à la magie noire, aux sorcières, le balai en bouleau sera préféré au balai en genêts dans certaines régions, selon les mythes et les histoires locales. Plus généralement la dévalorisation des objets ménagers (balai, brosse, serpillère, seau, éponges) est liée à une histoire des arts ménagers en France. Depuis le XXe siècle, la figure de la ménagère apparait. Et on oublie l'organisation des unités paysannes où le travail dans le foyer modeste, bien que genré, était réparti de façon à ce que les femmes travaillaient à des tâches productrices de valeurs. Elles entretenaient la maison et produisaient leurs outils : des balais, des paniers à base de végétaux tant pour la vie collective que pour les vendre.
Nous partons d’un objet usuel, d’un outil ménager. Nous pouvons commencer à tirer les fils, multiples et emmêlés, d’une histoire régionale, d’une production liée au territoire et d’une histoire du travail (du travail domestique à l’artisanat). Nous sommes convaincus que la question du soin apporté aux espaces dans lesquels nous vivons (de notre maison, mais également de la salle de classe) est une histoire qui mérite toute notre attention. Dans la mesure où prendre soin des objets et des espaces a une influence sur la manière dont nous prenons soin les uns des autres, passer le balai, c’est déjà parler de vivre ensemble, de collectif.
Nous proposons une pratique humble du design par le biais d’une pratique ordinaire : faire le ménage. Nous abordons de grandes problématiques : comment créer du commun par les objets qui nous entourent ? Comment relocaliser une production d’objets ? Comment utiliser des matériaux et des savoir-faire locaux sans produire des objets élitistes ? Depuis un ancrage tangible, à Montfaucon-en-Velay, nous avons un pouvoir, en partant, oui, d’un simple balai.
Par le(s) artiste(s)
En raison du mouvement de grève jeudi 23 mars, les Ateliers Médicis sont fermés au public.
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