Le jour où je suis arrivée en Martinique, on m’a dit :
«- Ici, tu sais ce n’est pas la France»
Pendant les huit semaines qu'a duré ma résidence, je suis restée dans le village du Prêcheur au nord de l’île et ce propos ne m’a pas quitté.
Cette partie du territoire bien que magnifique est encore assez sauvage et peu touristique. Mon immersion a été immédiate, et rapidement j'ai noué des liens avec les habitants de la commune. Nos échanges riches et nombreux, m’ont permis de mieux comprendre les enjeux du territoire, ainsi que certains aspects de la culture martiniquaise.
J'ai par exemple eu la chance d'être invitée à un lasoté : tradition agricole basée sur l'entraide et typique de la région Nord-Caraïbes. Accompagnés des tibwa, des conques de lambi et du tanbou (instruments de musiques locaux), les agriculteurs se réunissent pour labourer ensemble le terrain de l'un d'entre eux. J'ai également pu participer à des moments de bèlè. Cette pratique musico-chorégraphique a été amenée dans les mornes martiniquais par les Nouveaux Libres issus de l'abolition de l'esclavage au milieu du XIXème siècle. Le bèlè mêle chant, musique, danse et conte, certains y voient aussi une façon d'être ensemble et un héritage important politiquement. Les circonstances m'ont aussi amenée à assister à une veillée funéraire, j'ai ainsi découvert que les morts n'étaient pas honorés en Martinique de la même manière qu'en hexagone. Enfin, j'ai été sans m'y attendre happée par la folie du Carnaval pendant plusieurs jours d'affilés.
Le quotidien au Prêcheur, m'a aussi permis de comprendre les problématiques environnementales auxquelles sont confrontés les habitants : séismes, montées des eaux, ouragans de plus en plus fréquents, coulées de lahars en provenance du volcan, sols pollués par le chlordécone...
J’ai donc entamé ma résidence et mon travail de recherche en appréhendant le territoire physiquement, visuellement, théoriquement mais aussi au travers de ses habitants. Venant presque contredire la vision "carte-postale" de la Martinique : île où il fait bon vivre entre zouk et ti punch (vision que j'ai pu partager lorsque je me suis rendue en vacances en Martinique il y a plusieurs années), mon expérience s'est construite de manière empirique et locale.
Pendant ma résidence, une certaine forme d'inquiétude me traversait souvent, elle se mêlait à une impression d'étrangeté que j'ai ressenti de manière quasi permanente. Étant normalement très pragmatique, j'avais parfois l'impression de percevoir furtivement des choses se rattachant au domaine de l'impalpable et du magique. La nature sauvage à la faune et la flore indomptées et imprévisibles ne me rassuraient pas non plus.
C'est cette expérience et ces impressions parfois difficiles à exprimer dont témoigne mes images. Plus qu'une série "complète" ou "aboutie", ces photographies sont à appréhender comme un carnet de recherches, des traces sensibles et matérielles de ma résidence en Martinique, île que certains appelle l'île des Revenants.
La majorité des photographies ont été réalisées à l'aide d'un appareil photo instantané Instax Wide, avec le soutien de Fujifilm France.