Ce que j'ai vu, Le Prêcheur

Aprendre à voir

Publié par Pauline Rousseau

En tant qu'historienne de l'art et photographe, je réfléchis souvent à l'importance de "regarder" et au fait de rendre visible. Il me parait intéressant de partager ces réflexions avec les enfants sous la forme d'un atelier .

Pour initier cette réflexion, j'invite les élèves de la classe à regarder collectivement les travaux qu'ils ont réalisés lors de notre précédent atelier portant sur le dessin d'observation. Les enfants constatent que tous n’ont pas représenté la même chose. Certains se sont concentrés sur des détails, d’autres sur la végétation présente dans la cour, d’autres encore sur les architectures ou le volcan au loin. 

Les toilettes dessinées par Yolan
Les toilettes - ce que Yolan a vu et dessiné

Ils rient que l’un de leur camarade ait décidé de représenter les toilettes. 

Cette analyse de leurs productions nous amène à discuter du rôle du regard dans le dessin et par la même occasion dans le processus photographique. Tous étaient dans la cour, mais ils n’ont pas tous vus la même chose et surtout ils n’ont pas tous décidé de représenter la même chose. 

Dessiner ou prendre des photos c’est d’abord voir ou plutôt regarder. 

Mais finalement quel est la différence entre voir et regarder? 

«- C’est la même chose!

 - Mais non : voir c’est quand tu fais pas exprès!

- Mais observer alors ?

- Observer c'est comme les gens avec les jumelles pour les oiseaux!»

Je leur parle de ma formation à l’Ecole du Louvre qui était axée sur une observation précise et presque chirurgicale des œuvres. Nous échangeons à propos du fait de se confronter physiquement aux choses que l’on regarde : est ce qu’on voit mieux en vrai ou sur un écran? 

Plusieurs enfants pensent que l’on voit mieux sur un écran car «c’est bien éclairé» et «on peut zoomer». 

Ce que j'ai vu, Le Prêcheur
Ce que j'ai vu, Le Prêcheur

Je leur partage que ma perception de la réalité est différente si je suis dans une posture photographiante : en possession d’un appareil photo - en train de photographier ou non.

Je leur explique que j'ai l’impression de «mieux voir» quand je vois à travers le prisme de mon appareil photo. Avant de faire une photo, je fais la même chose que ce qu’ils ont fait avant de dessiner : je regarde, je choisis un «morceau» de réalité, parce qu’il me plait, parce qu’il m’intéresse ou tout simplement parce que j’en ai envie.

Je le cadre, et ensuite je prends la photo. 

Ce qu'ils ont vu - poème écrit à partir de citations des enfants de CM2
Ce qu'ils ont vu - poème écrit à partir de citations des enfants de CM2

Nous retournons à l’extérieur et là les enfants ont pour consigne, non pas de dessiner mais d’observer, de regarder. Une fois rentrés dans la salle, je leur demande de décrire ce qu’ils ont vu. 

S’agit-il de formes, des couleurs, des matières, d’une situation? 

Comment ces différents éléments interagissent? 

Je les encourage à bien se concentrer pour se rappeler le plus d’éléments possibles, à essayer de ne pas répéter ce qu’on dit leurs camarades et donc à bien s’écouter les uns les autres. 

L'idée étant à la fois de s'entrainer à "mieux" voir, à avoir une meilleure perception de leur environnement, mais aussi à développer leurs capacités à décrire et nommer. 

Pour conclure, nous parlons des couleurs. 

Je leur explique que plus on connaît de couleurs plus on en voit. Ainsi une personne qui ne connait que le mot «rouge» aura du mal à percevoir et décrire les différentes nuances de cette même couleur, en comparaison une personne qui connait les mots «vermillon» «coquelicot» «bordeaux» «tomate»... sera plus à même de les distinguer. Je prends comme autre exemple les inuits qui ont plus de dix mots pour qualifier les différentes nuances de blanc.

Les enfants sont très impressionnés d’autant qu’ils n’ont pour la grande majorité jamais vu de neige en vrai. Je leur rappelle que contrairement à eux, de nombreux enfants n'ont jamais vu la mer ou n'ont pas sous les yeux, une végétation aussi luxuriante. La réaction des enfants est unanime :  "Les pauvres! Il faut les inviter en Martinique!"

Je leur propose d'ici le prochain atelier à jouer au "jeu des couleurs" c'est-à-dire à s'entrainer à voir et nommer le plus de couleurs possible, ainsi qu'à observer et décrire (à l'écrit) ce qu'ils voient de chez eux.

 

Ce qu'ils ont vu ( les CM1)