Qu’est-ce qui nous définit en tant qu’individu? Est-ce notre nom? Notre ADN? Notre appartenance à divers groupes? Notre provenance géographique? Comment définir «l’identité» d’une personne? Que recouvre ce mot aux significations sans cesse mouvantes? L’identité d’un groupe est-elle constituée de ce que toutes ces personnes ont en commun ou au contraire d’une multitude d’individualités? C’est autour de ces questions que se construit mon projet de création et d’atelier pour la résidence Création en cours. De manière collective et individuelle, en utilisant différents médium, comme l’aquarelle, la photographie ou bien l’écriture, j’aimerais travailler autour de ces questions avec les enfants dans une œuvre participative.
Michel Serres , écrit dans un texte publié en 2009 : « Sur ma carte d’identité, rien ne dit mon identité, mais plusieurs appartenances. Deux autres y figurent : les gens qui mesurent 1,80 m, et ceux de la nation française ». Si l’on se base sur cette citation, la carte d’identité et les informations qu’elle délivre ne seraient pas suffisantes pour définir l’identité d’une personne. Alors comment la définir ? Comment aborder et comprendre cette notion ? Suis-je la somme de plusieurs appartenances ? Si oui quelles sont-elles ? Comment mon identité se construit-elle de ma naissance à ma mort ? Mon rôle est-il actif et conscient dans cette construction ? Mon identité est-elle nécessairement en relation avec les autres ?
Ces réflexions sont à l’origine du projet que je propose pour la résidence Création en cours. L’idée est d’appréhender la question de l’identité d’un point de vue plastique et théorique. Le cheminement que j’envisage se veut empirique. Sans chercher à formuler une réponse précise et définitive, le travail sera structuré en trois axes principaux qui seront développés au cours d’ateliers avec les enfants et dans ma pratique personnelle.
Les départements et régions d’outre-mer se définissent par une histoire foisonnante et complexe, ainsi que par leur multiculturalisme, c’est pourquoi ils me semblent particulièrement adaptés au développement de ma proposition. L’histoire de ces territoires sera évoquée à travers un premier axe de réflexion intitulé Identité et Mémoire/Reliques et fétiches. Les enfants seront invités à apporter des photographies anciennes qui nous serviront de base de réflexion. Ensemble nous réutiliserons les codes et les éléments présents dans ces images afin de créer des mises en scène photographiques. Les enfants seront à la fois modèles et photographes et cela nous permettra de développer une réflexion autour du portrait. Je leur proposerai aussi de décrire de mémoire leur plat familial fétiche, et d’imaginer comment leurs ancêtres le cuisinaient et le mangeaient. Nous mettrons ensuite en commun toutes ces histoires-recettes dans un livre que nous pourrons illustrer à l’aquarelle. En travaillant à partir d’éléments anciens, ayant une existence physique (photographies anciennes) ou non (mémoire individuelle et imagination), l’objectif est de créer un lien entre les enfants et leur passé collectif et individuel tout en appréhendant plusieurs médium (aquarelle, son, photographies, écriture).
Le deuxième axe que l’on pourrait appeler Identité et Lieux/Espaces rêvés et espace physique appréhende les lieux et la géographie. Si cela est possible nous pourrions travailler à partir de cartes-postales anciennes et récentes de la région dans laquelle nous nous trouvons. Sous forme de collage les enfants et moi-même réaliserons un paysage imaginaire, à partir de vraies images. Ainsi nous pourrons aborder une nouvelle technique (le collage) et des réflexions théoriques autour du paysage mais aussi de la réappropriation en art. Nous pourrons également réaliser une carte sur laquelle se trouvera toutes les provenances et origines des enfants du groupe. Dans un troisième temps, nous irons aux abords de l’école ramasser et cueillir des éléments végétaux et minéraux à partir desquels nous réaliserons des cyanotypes (procédé photographique ancien qui se révèle à la lumière du soleil).
Enfin, c’est dans une approche toujours expérimentale et ludique que nous aborderons le troisième axe que j’ai nommé : Identité et Affirmation de soi/Représentations et portraits. Par le biais du portrait nous nous intéresserons à l’auto-fiction et plus largement à l’auto-portrait. Comment et pourquoi se représenter soi-même? Chaque enfant réalisera son propre auto-portrait et pourra choisir parmi les medium déjà expérimentés (aquarelle, dessin, écriture, photographie, collage, son….) celui qui lui convient le mieux. Nous ferons ainsi des groupes et les enfants devront s’entraider et travailler ensemble. Ensuite chacun apportera un ou plusieurs objets qui le définissent et nous créerons des natures mortes et une installation.
À la fin de la résidence, les enfants auront expérimenté de nombreux médium différents, appréhendé plusieurs questions d’ordre historique ou philosophique et ils auront créé individuellement mais aussi en groupe. Dans un dialogue permanent avec les enfants, j’aimerais que nous travaillons ensemble à valoriser leur individualité et leur diversité.
Cette manière de travailler, en appréhendant une grande diversité de médium, mais aussi en travaillant collectivement est à l’image de mon processus créatif. Les questions d’identités, mais aussi de mise en scène de soi, le travail avec les archives sont autant d’éléments qui traversent mon travail depuis plusieurs années et que j’aurai plaisir à transmettre, et approfondir au sein de cette résidence. L’idée de partir d’éléments pré existants (souvenirs, cartes postales..) et parfois triviaux (végétaux ramassés aux abords de l’école par exemple) et de les transcender, de se les réapproprier et de raconter une autre histoire est un cheminement plastique et intellectuel que j’aimerais développer également dans ma propre pratique.
En me basant sur les trois axes de recherche évoquées précédemment, j’aimerais réaliser une série de portraits des habitants du territoire où je serai affectée. Je développerai photographiquement les idées évoquées autour des questions d’appartenance, de mémoire, d’ancrage dans le territoire et de mise en scène de soi. Il ne s’agira pas d’adopter un point de vue anthropologique ou de chercher à répondre à ces questions de manière exhaustive et frontale . Mais plutôt de travailler sur l’identité d’un lieu, de manière subjective et poétique, à travers la diversité de ses habitants.
Par le(s) artiste(s)