J’ai revu récemment mon collège et comme tant d’autres, la cour de récréation n’a pas bougé d’un poil ; l’asphalte tapisse toujours aussi parfaitement les moindres recoins. Cela m’interroge : est-ce un espace figé, immuable malgré le changement perpétuel d’élèves et de pratiques ? Au sein de toutes écoles, la cour de récréation est l’un ou même bien souvent le seul espace extérieur. Il existe bien dans certains établissements un préau mais c’est un espace couvert. « Récréation », mot à double sens, à la fois lieu et temps du délassement et de la détente des élèves, mais aussi officieusement consacré à la détente, au délassement, aux baisers volés, aux règlements de comptes, à quelques jeux marqués sur le bitume, marelles La cour de récréation n'est-elle pas cette même cour de recréation : lieu de « répétition de la création » (« recréer », « créer encore, de nouveau »), de retour à un état antérieur à la création (« ré-créer»), d'antériorité ou de renforcement, d'achèvement de la création ? La résidence que je propose se porte donc sur la création avec les élèves d’un jardin éphémère au sein de la cours de récréation. Il me semble intéressant de commencer la conception d’un jardin par une recherche plastique afin d’ouvrir des pistes de projets mais aussi de revisiter les modalités de conception d’un jardin. Enfin, la cours de récréation comme « espace à bouger », à redéfinir, comme endroit transitoire, reflet des rêves enfouis des élèves est une allégorie pouvant développer un imaginaire à foison. En cela, le jardin, lieu éphémère, expression libre du vivant peut être intéressant, enrichissant pour les élèves et à inventer le plus commodément.
J’entrevois cette résidence comme l’occasion de valoriser le travail du paysagiste par étape, en montrant aux élèves le processus de création de l’esquisse à sa réalisation, afin qu’ils comprennent les temporalités d’un projet spatial conclut par la réalisation d’un jardin. Ce dernier « prendra place » au sein de la cour de récréation de l’école.
La cour de récréation comme point de départ d’un vaste processus de réflexions et de tentatives artistiques. Cet espace éminemment aseptisé, souvent bien lisse, évidemment clos, peut-il devenir sujet d’inspiration, une sorte de muse pour les élèves. C’est un pari, une hypothèse. Un peu comme l’écrivain Georges Pérec qui épuise de descriptions pendant trois jours d'affilée la place Saint-Sulpice, je propose d’intervenir dans une école en me focalisant d’office sur cet espace commun de l’école : la cour de récréation. J’imagine avec les élèves « éprouver » cet espace, jusqu’à le transformer physiquement. Il y aura donc durant la résidence trois phases de projets.
La première étape du projet sera l’analyse des besoins ou des envies des enfants, en leur révélant la finalité de la résidence, une transformation, notamment par le végétal de leur cour. Il y aura donc dès les prémices de la résidence un travail d’enquêtes, de questionnaires et d’observations à mener avec les élèves. Cette entame se poursuivra en demandant à chaque élève de préciser, de dévoiler leurs désirs projetés dans la cours de récréations. Par le truchement de la photographie retouchée par d’autres médiums, comme celui du collage, de la peinture ou encore via des logiciels d’infographie adaptés (…), les élèves exprimeront chacun une envie libre, formelle ou non, abstraite, figurative, utopique… Que peuvent-ils espérer dans la cours de récréation ? Quelle nouvelle vision chaque élève peut-il apporter dans cet espace ?
La seconde métamorphose se produira par la mise en scène, la réalisation d’un jardin prenant place dans cette même cours de récréation, jardin s’inspirant d’une part des esquisses des élèves, de leurs visions, de leurs prémonitions amorcées dans le travail de photographies, puis d’un travail de concertation autour d’une maquette. Il s’agit d’un jardin comme interprétation des désirs ou des délires, il faudra veiller à ce que ce jardin n’en devienne pas la traduction littérale, mais qu’il enrichisse au contraire les esquisses, qui les complémente.
Pour résumer, dans un premier temps, je propose de connaître le regard que porte chaque élève sur leur cours de récréation. Ce récit doit être honnête, littérale et limpide. Ainsi la photographie est un médium intéressant semble-t-il pour retranscrire facilement et personnellement une réalité. Chaque élève devra donc s’acquitter d’un cliché, peut-être si cela lui semble nécessaire de plusieurs prises. Il pourra évidemment choisir les moments qu’il convoite : tôt le matin avant l’arrivée des autres élèves, ou au contraire lorsque la cours de récréation est bondée… Les photographies pourront provenir d’outils différents : boîtes à sténopé, téléphones portables, reflex, appareils photos jetables… Pour certaines, avant d’être développées, elles pourront « subir » des modifications classiques : (désaturation, conversion en noir et blanc, recadrage, notamment via l’utilisation de logiciels style photoshop…). Après le tirage sur grand format, il s’agira par de nouvelles métamorphoses plastiques d’imaginer les scénarios personnels de chacun dans la cours de récréation, en les réalisant directement sur les photographies. « J’aimerai qu’elle devienne entièrement bleue » , « j’imagine un bois poussé à la place de la marelle » , « je projette »…. Ces « perspectives » donneront lieu à des moyens d ‘expressions graphiques multiples et assez libre ; recolorier par dessus, découpage, collage…
La seconde étape aura pour objectif de mettre en réseau toutes ses envies et de trouver un consensus de groupe. Cela sera le moment d’une concertation commune, qui s’orchestrera autour d’une maquette et de plans de la cours de récréation. En réalisant ce qui est réalisable, en discernant les désirs suffisamment partagés au sein de la classe, il y aura des propositions sans doute à écarter, d’autres à prolonger. Le but de la maquette pour les élèves est qu’ils y placent les éléments de projets, qu’ils simulent des situations spatiales et qu’ils se rendent compte de l’échelles des propositions. A côté de cela, nous pourrons commencer à lever des hypothèses de projets plus précises, notamment en réfléchissant au choix des plantes, des couleurs, quels matériaux utilisés…
L’étape ultime sera l’élaboration d’un jardin, lieu comme métaphore des possibles envisagés par les élèves lors de l’esquisse et du travail photo. Le jardin est un espace qui m’intéresse pour les raisons suivantes, il est à la limite entre le domaine de l’art et de la culture, sans tout à fait atteindre pleinement l’un comme l’autre. Un jardin d’agrément écarte d’office l’idée de culture comme celle d’un « traitement du sol en vue de la production agricole », il n’est pas consommable encore moins utile. Espace d’aménités, il est simplement beau et reposant. Mais dans le même temps et malgré l’existence d’un art des jardins, cet espace n’entre pas dans la tradition des beaux-arts. Pascal Cribier, grand paysagiste français, nous dit par exemple là-dessus que le jardinier n’est pas un artiste. Il ne produit pas quelque chose qui pourrait être coté sur le marché et donner lieu à spéculation - le jardin n’a pas de valeur marchande. Il me semble donc que c’est un mot ambigu. C’est précisément cette ambiguïté que nous allons avec les élèves cultiver à travers ce jardin prenant place et forme en pleine cours de récréation.
Pyrénées-Orientales
Par le(s) artiste(s)