Alexis prend les traits de l'ermite, scrutant la vallée à l'affut de la Vouivre

L'Ermite et la Vouivre

Publié par Hortense Faure

Journal du projet

Une légende de Juliette, Alexis, Hippolyte, les deux Dylan, Lohan et Nathan

Pour écrire cette première légende, Juliette, Alexis, Hippolyte, les deux Dylan, Lohan et Nathan ont décidé de partir de deux récits :

La légende de la Vouivre, qui est commune à de nombreux territoires montagnards recélant de gorges sinueuses et serpentines. Les différentes légendes énoncent toutes l’existence d’une créature, parfois reptilienne, parfois croisement entre une chèvre et un dragon. Cette créature se déplacerait dans l’eau des rivières inaccessibles au fond des gorges et dormirait dans les falaises et grottes de la montagne… Nous pouvons y voir le fantasme d’une créature qui répondrait à la réalité d’un territoire à la fois mystérieux et dangereux. Le fond des gorges souvent difficilement accessible par l’homme et donc le caractère inconnu de ces zones circonscrites prend corps et se personnifie dans la créature de la Vouivre.

L’autre récit qu’ils ont choisi est réel lui, il s’agit de l’existence historique d’une forte population de chiens errants qui peuplaient Flumet, ses champs et ses forêt et  dont les habitants se méfiaient…

En plus de ces deux récits, les enfants ont en tête, il me semble, la présence à Flumet de deux rivières : l’Arly et l’Arrondine, qui apparaissent comme deux frontières naturelles délimitant le village. C’est cette réalité géographique qui a donné le nom au village, Flumet vient du latin « entre deux eaux ».

D’ailleurs historiquement il y avait un ancien moulin à Flumet, qui a été, il y a plusieurs années, rénové par des habitants, c’est la maison du meunier « au fil du temps » que nombreux élèves ont pu visiter.

Pour cette légende j’ai poussé les enfants à ne pas penser en terme d’actions ou de péripéties, mais plutôt à tisser du lien entre les récits initiaux afin de donner une profondeur à ce paysage très particulier des gorges de l’Arrondine. Il fallait que la créature n’apparaisse pas, mais que son existence s’immisce et s’insinue dans tous les éléments de l’histoire.

Pour ma part, j’ai été intriguée par le fait qu’Alexis soit le seul des enfants à n’avoir choisi que deux récits. Tous semblaient intéressés par de nombreuses histoires locales, lui seul n’avait trouvé qu’un intérêt limité à ces deux histoires. Il s’avère qu’avec Alexis nous avons un territoire commun, qui n’a rien à voir avec Flumet : tous les deux nous avons passé beaucoup de temps dans le Cantal. Peu à peu Alexis s’est livré à moi, ce qu’il aime c’est passé du temps avec son père, comme lui quand il sera grand il aura toujours son opinel dans sa poche, ira chasser avec ses chiens, et pourra allumer un feu n’importe où en quelques minutes.

Il nous fallait un personnage principal, et quand les enfants ont évoqué celui d’un ermite, j’ai très vite pensé le personnage et son histoire en lien avec la personnalité d’Alexis : sensible et guerrier, secret et vif…

L'Ermite et la Vouivre

Avez-vous déjà entendu l’histoire de l’ermite des montagnes… ?

C’est celle d’un grand gaillard barbu, vêtu en tenue de camouflage, un solitaire qui s’était retranché dans les gorges de l’Arrondine pour y construire sa cabane. Aucune personne du village n’y venait, son territoire était vivement protégé par une meute de chiens errants qui effrayait tous ceux qui auraient été assez téméraires pour s’en approcher.

On dit que l’ermite passait ses journées au bord de la rivière, assis sur un tronc, près de sa cabane, à aiguiser des bouts de bois pour un faire des flèches pour son arc, ou à tailler des petits sifflets pour imiter le chant des oiseaux. On raconte qu’il ne parlait pas, mais grognait, gémissait, sifflotait, et qu’il pouvait communiquer avec les bêtes de la forêt.

Tous les soirs il faisait un feu à côté de sa hutte, alors les chiens s’approchaient. Après avoir observé le feu pendant un long moment, il rentrait enfin se coucher sur sa paillasse modeste. On entendait au dehors les chiens rôder.

Aussi, quand il n’était pas affairé à ses tâches manuelles il marchait, longeant les bords de l’Arrondine, comme écrasé par les falaises sombres et immenses, l’air pensif et soucieux. Et même s’il ne prononçait pas un mot il semblait habité par de vives pensées… Ces longues marches étaient suivies de loin par les chiens qui aboyaient régulièrement, comme inquiets d’un danger invisible.

En réalité l’homme était hanté par une idée fixe, une quête obsessive. Toujours son regard se dirigeait vers les gorges sinueuses de l’Arly, il semblait alors comme possédé. Plus l’eau de la rivière se faisait tumultueuse plus ses yeux se faisaient noirs. Alors seulement on n’entendait plus les chiens aboyer.

Il passait ses journées à ruminer un combat funeste… L’unique but de sa vie solitaire était de tuer la Vouivre qui, pensait-il, avait avalé ses parents meuniers sur les bords de l’Arrondine alors qu’il était enfant.  Il voulait vengeance et attendait patiemment le signe qui le ferait passer à l’action.

Une nuit, alors qu’il était endormi, il fit un cauchemar terrible. Une créature sombre et longue se glissait dans les eaux obscures de L’Arrondine, se faufilait dans les gorges sinueuses. Ses écailles couleur de pierre apparaissant et disparaissant au fil de l’eau. Au son des remous réguliers de la rivière se mêlait un sifflement étrange, comme un appel. Soudain les flots se firent plus tumultueux laissant place à de grosses vagues. Une dernière lame immense retomba brutalement sur les pierres du rivage.

L’ermite se réveilla en sursaut « ça y est, le moment est arrivé ». Il se leva rapidement, prit son arc et ses flèches, sa lampe torche et sortit de sa hutte. Les chiens aux alentours du feu gémissaient et grognaient, l’air apeuré ils s’enfuirent. Le feu n’était plus que des braises et une légère fumée émanait de celles-ci. L’ermite traversa la fumée, regardant droit devant lui. Après plusieurs pas, il sortit machinalement son opinel de sa poche, s’engouffra dans les gorges profondes, longea un moment les rives, s’arrêta un instant devant le torrent qui paraissait calme. Le silence était total. Il le rompit en grognant puis d’un pas assuré se dirigea tout droit vers la rivière. Il rentra patiemment dans l’eau noire, son couteau d’une main et son arc serré dans l’autre…

Personne ne sait s’il est arrivé à son but, et cela fait bien longtemps qu’on ne voit plus son feu fumer dans la nuit. Pourtant l’Arrondine est devenue plus calme, et le soir on peut y voir des chiens errants se coucher sur le rivage, tout près des restes de la cabane de l’ermite, ou du moulin en ruine de ses parents.