Mon projet s'inscrit dans le territoire montagnard, qui est à l'origine de nombreux mythes, légendes et récits fabuleux. Il sera l'occasion d'interroger notre rapport à cet espace : la montagne a perdu son caractère enchanté et mystérieux pour devenir un territoire à exploiter et à maitriser.
En s'intéressant aux anciens récits légendaires propres à un territoire, dont l'ancienne génération détient encore la mémoire, il s'agit de réactualiser une façon ancestrale d'habiter et d'appréhender celui-ci. Enfin, pour que la nouvelle génération se réapproprie la montagne et renoue avec une histoire locale, les jeunes réinventeront eux-mêmes des récits mythiques propres à leur territoire, et travailleront à leurs réalisation cinématographique.
Il y a bien longtemps, la montagne abritait, dans ses forêts, ses grottes et ses monts mystérieux, des êtres légendaires. Leurs histoires étaient contées près du feu, les nuits de veillées. A travers ces mythes et légendes, qui se transmettaient oralement, il s’agissait pour les générations de ceux qui habitaient ces territoires montagneux d’accéder à une certaine compréhension de cette nature qui les entourait, et à une façon de l’habiter. Ainsi, les Edelweis, petites fleurs blanches qui transpercent les dernières neiges, sont en fait les larmes de la Dame des neiges qui pleure son amour du haut de sa montagne.
La force du mythe ou de la légende, tient dans leur volonté d’expliquer une réalité insaisissable sans pour autant y anéantir la part de mystère, voire de magie. Dans le sillon d’une philosophie du cosmos traditionnelle, non seulement l’homme et la nature cohabitent pour former un tout, mais la nature a aussi son existence propre ; régie par ses propres règles elle est un être à part entière qui n’est pas encore dompté par l’homme.
La montagne, plus que tout autre territoire naturel, regorge de curiosités géologiques. Pendant des siècles certaines zones sont restées inaccessibles à l’homme, et donc vierges de son emprunte. Leurs présences lointaines, parfois magistrales comme pour certains monts, étaient la toile de fond du quotidien des habitants des environs, sur laquelle se dessinait pourtant tous leurs fantasmes. C’est le cas notamment pour le Mont Inaccessible, que l’on disait être une Eden terrestre, ou peuplé de déesses chassées du mont Olympe. Aujourd’hui appelé Mont Aiguille c’est un lieu prisé par les alpinistes et autres randonneurs. Il n’a plus rien de fantastique donc, mais tient une nouvelle renommée grâce au tourisme et sport de montagne.
Il me semble qu’aujourd’hui notre rapport à la nature, et spécifiquement à la montagne, a bien changé : il s’est désenchanté. La montagne est devenue un territoire maitrisé, ou en tout cas que l’homme a cherché à dompter pour ses propres fins. La montagne est aussi devenue une ressource exploitable. Les nouvelles connaissances scientifiques certes ont remplacées les récits imaginaires, mais c’est surtout cette volonté de rentabilité, de maitrise et de productivité, propre à notre siècle, qui a changé notre rapport à la nature et donc au territoire montagnard. Pour que celui-ci devienne rentable, pour le désenclavé, il a fallu lui donner une nouvelle fonction, celle du tourisme de montagne, qui est apparu comme un choix politique après la Seconde Guerre Mondiale.
Aujourd’hui, lorsque je suis confrontée à ce territoire, le féérique et le légendaire ont laissé place à la mécanisation, l’inconnu et l’indompté à l’utilitarisme et à la volonté de maitrise.
Ce sont, en été, des kilomètres de sentiers empruntés par des randonneurs qui gravissent la montagne jusqu’à son point de vue culminant. Ils arrivent à une table d’orientation su laquelle est dessiné le paysage qu’ils ont sous les yeux, nommant chaque mont, falaise et cirque. Le territoire devient connu, limpide. Pourtant, le dessin couleur vert pastel est lacéré de lignes de couleurs vives indiquant aux randonneurs tous les sentiers qu’ils peuvent emprunter. L’espace est rentabilisé. Puis l’hiver, ce sont les longues files d’attente de combinaisons fluorescentes devant les remontées mécaniques. Elles-mêmes sont comme autant de lignes froides et métalliques qui percent la montagne. Puis, plus récemment, ce sont les canons à neige qui recouvrent d’une couche blanche et artificielle les plaines entretenues par des tractopelles. Paysans et bergers sont remplacés par les moniteurs de ski et les vendeurs de matériel sportif. Les veillées au coin du feux ont été évincées par les divertissements pour touristes.
L’homme domine la nature, il ne cohabite plus avec la montagne, mais la modèle à sa guise.
Comment réinvestir l’ancien rapport que l'homme entretenait avec la montagne, comment renouer avec une éthique de la montagne, et comment réenchanter ce territoire et le revaloriser? C’est ce que je souhaite initier en réinventant et réactualisant des mythes et légendes propres au territoire montagnard, à travers une démarche cinématographique.
Pour cela, il me faudra faire un travail de recherche afin de retrouver des récits qui existent déjà, des légendes et histoires que les habitant connaissent et qui se sont transmises de générations en générations. Idéalement, le but de cette première étape serait de créer du lien avec les anciennes générations, dépositaires de la mémoire du territoire en question. Puis, il s’agira de me rendre sur les lieux de ces légendes, précisément là où elles sont censées s’être passées. Cette démarche pourra prendre une forme documentaire, proche de l’enquête. Il s’agira de filmer mes recherches, les personnes que je vais alors rencontrer, leurs récits et leur accompagnement au sein de ce territoire.
La seconde étape, mettra en scène une coexistence du temps du passé à travers les légendes anciennes, et celui du présent. Il s’agira de procéder à une réécriture cinématographique des anciennes légendes pour réinvestir ces lieux avec ces récits d'antan mais réactualisés. L’enjeu étant de retrouver à notre époque une manière de faire réexister la montagne par elle-même ainsi que de lui redonner son caractère mystérieux et légendaire, pour rompre avec le rapport actuel que nous entretenons avec elle. Cette démarche aboutira à la mise en scène de nouvelles légendes : des scènes de fiction filmées dans ces lieux spécifiques.
Afin de lier ces deux parties, documentaires et fictionnelles, j'aimerai organiser un moments de veillée pendant laquelle les anciennes générations conteront aux plus jeunes les anciennes fables.
Pour finir, et comme contre-point, je filmerai ce même territoire montagnard dans sa mécanisation et son désenchantement. Ce seront des scènes de sports de montagne dans lesquelles la nature n’est qu’un décors effacé et utilisé, dans un rapport déshumanisé, où l’intime n’existe pas, mais où seul prime l’utilisation rentabilisée de la montagne.
Ainsi, j'espère interroger notre rapport à la montagne, et faire valoir l'existence de celle-ci comme être mythique à part entière qu'il nous faut redécouvrir. Je souhaite également à travers mon projet initier une réappropriation d'un territoire par ses habitants, et initier un échange intergénérationnel au sein de celui-ci.
Par le(s) artiste(s)