« The river » est un projet chorégraphique qui trouve sa source dans les Métamorphoses d’Ovide, oeuvre majeure de la littérature antique. Né à l’abbaye de Royaumont en Août 2018, ce projet de recherche est axé sur le thème de la disparition et le flux continu du mouvement. J’aimerais poursuivre le travail de ce prototype en élaborant une réelle création chorégraphique pérenne qui aura pour but d’être diffusée. À l’école, je proposerai aux élèves un travail pluridisciplinaire (alliant notamment danse, dessin et écriture) autour du thème de la transformation, les amenant dans un processus d’éveil corporel sensible et d’ouverture de leur pensée artistique.
« Tu fus, Orphée, pleuré par les oiseaux affligés, par la troupe des bêtes sauvages, par les durs rochers, par les forêts qu’entraînairent souvent tes chants. Laissant choir ses feuilles, l’arbre, la tête rase, prit son deuil ; les fleuves aussi, dit-on, furent grossis de leurs propres larmes [...]. Les membres d’Orphée gisent dispersés. Tu reçois sa tête, ô Hèbre, et sa lyre ; et - prodige ! - tandis qu’elle est emportée au milieu de ton fleuve, cette lyre plaintivement fait entendre je ne sais quels reproches, plaintivement la langue privée de sentiment murmure, plaintivement répondent les rives. Et maintenant emportés par la mer, ces restes abandonnent le fleuve de leur patrie et prennent possession du rivage de Méthymne, à Lesbos. »
Ovide, Les Métamorphoses, Livre onzième.
C’est dans la littérature antique que le projet chorégraphique The river trouve sa source. Né à Royaumont lors de la cinquième session de la formation Prototype, ce projet de recherche est inspiré de la Mort d’Orphée, écrite par Ovide dans les Métamorphoses. C’est en les feuiletant pour la seconde fois que je relis ce passage et décide d’en faire le point de départ d’un long travail de recherche et de création. Ce mythe, celui d’un geste brutal, est suivi d’une douce lamentation, dont la beauté des mots et leur musicalité en font l’un des plus beaux passages de la littérature antique.
C’est particulièrement la séquence de la dérive du corps d’Orphée qui motive la première étape de réflexion. Au-delà de la symbolique cruelle de cette tragédie, c’est plutôt la grande poésie du texte qui retient mon attention. Dans ce passage, il y a deux mouvements contraires qui s’affrontent : celui extrêmement violent des Ménades qui se jettent sur Orphée, et celui extrêmement doux du fleuve qui emporte son corps et de la nature qui se transforme lentement pour témoigner de cette perte.
Dans ce projet, je veux plutôt m’attarder sur ce moment précis, ce moment de la disparition, ces secondes qui suivent l’extrême violence du crime. Ce moment suspendu, ni triste ni joyeux, où tout s’arrête, et où, comme il est dit dans le texte, on entend (ou croît entendre), la lyre jouer seule une dernière complainte, comme un écho de tout ce génie maintenant disparu. Mais pour moi, la disparition d’Orphée symbolise aussi le partage de ses dons ; de sorte que, au lieu d’y voir simplement un meurtre abjecte, j’y vois plutôt la redistribution entre tous les Hommes de ses qualités artistiques.
Dans ce texte, quatre éléments aparaîssent pour porter le deuil de la perte d’Orphée : les oiseaux affligés, les bêtes sauvages, les rochers et les forêts. Ces éléments regroupent tous les règnes (animal, végétal et minéral) présents dans la nature, ce qui démontre le carractère universel de ce texte, de ces mythes, de cette vision du monde. C’est encore une des raisons pour lesquelles ce passage m’attire tant. Ces quatre éléments, enfin, me permettent de visualiser l’orchestration de cette pièce. Elle sera dansée par quatre interprètes, qui navigueront dans un flux continu de mouvement pour faire naître une ballade délicate et sensible.
C’est ce flux de la rivière qui pose pour moi les fondations de la recherche corporelle. Avec les danseurs, j’ai réalisé que ce flux constituait la composante essentielle du temps et le structurait. De la même manière que le vent, la saison et le temps influent sur le courant des fleuves, les élans, les rencontres, les qualités de corps et les désirs influent sur l’onde du mouvement. La recherche se concentrera donc sur l’écriture d’un flux constant de geste structuré par toutes ces composantes.
Le flux, c’est également, chez Rudolf Laban, l’une des quatre composantes du geste, avec le temps, le poids et l’espace. Ces outils sont d’une grande utilité pour analyser le corps et son mouvement. Le flux, comme les trois autres, a deux polarités : libre et contrôlé. Dans The river, ce flux n’aura de cesse de naviguer d’une polarité à l’autre, constituant les courants qui composeront la chorégraphie. Cette composante, combinée avec le temps (soudain ou soutenu) et l’espace (direct ou indirect), me permettra de phraser l’écriture d’une manière à la fois précise et singulière.
Grâce à certaines consignes qualitatives ou temporelles, des actions à réaliser et des tâches à effectuer, mon vocabulaire chorégraphique sera constemment remodelé et revisité par les interprètes. Dans le cadre de la présence à l’école, tous ces outils seront expérimentés par les élèves au sein d’ateliers dansés. Conjugés à l’analyse et la création de productions picturales, à des lectures de texte, à des visionnages d’extraits de pièces chorégraphiques, j’élaborerai un grand travail d’interprétation et de découverte corporelle avec les enfants, qui nourrira mon travail de recherche avec les interprètes de la pièce. Ce travail à l’école sera axé sur plusieurs mythes des métamorphoses, afin d’explorer plus largement le thème de la transformation et de déboucher sur une interprétation plus poétique de leur environnement.
Enfin, en créant une nouvelle version de The river, je pourrai faire aboutir un travail construit et cohérent autour d’un thème précis et sensible. Ce thème me tient à coeur, car il représente une source immense d’inspiration et de poésie. La création de cette pièce sera par ailleurs un réel tremplin pour ma carrière d’auteur, et enrichira énormément mon travail de recherche. Ce sera également la concrétisation de mon désir d’offrir une relecture de ce mythe au moyen d’un outil résolument contemporain.
Par le(s) artiste(s)