J’aimerai pour ce projet mettre en avant la vision que les enfants portent sur leur ville et ses habitants en soulevant les enjeux d’accessibilité à la culture et la communication de l’identité d’un lieu. Il s’agit d’établir un dialogue et une rencontre entre différents publics traduits par des témoignages et une pratique graphique donnant lieu à une cartographie, un album illustré et pourquoi pas une exposition locale. Travailler avec les enfants dans le but de créer un support visuel témoignant de leur propre vision de la ville est selon moi un moyen de les amener à s’ouvrir à la ville et à ce qu’elle leur propose. Dans l’idéal, j’aimerais également réaliser une cartographie interactive, sous forme d’application ou site internet, permettant de se promener ''sur'' la ville et d’écouter ainsi différents témoignages ou textes narratifs écrits par les enfants. Cette cartographie pourraient être évolutifs et contributifs. Elle permettrait alors de confondre des visions interculturelles et inter-générationnelles rendant compte ainsi de toute la complexité et mixité d’une même ville. Cette expérience permettrait également de donner la parole aux enfants en leur affirmant que leur regard compte pour l’amélioration du rayonnement culturel territorial.
Ce projet résulte de constats et de prises de recul suite à l’écriture de mon mémoire de DSAA, de mes rencontres et de mon engagement à l’AFEV. En effet, menant une réflexion sur la relation entre graphisme et pédagogie, j’ai compris combien un enfant gagne à s’émanciper en étant autonome et ouvert d’esprit. Plusieurs méthodes pédagogiques posent leurs fondements sur l’épanouissement personnel de l’enfant en favorisant l’apprentissage par le faire comme le préconisaient Maria Montessori, Célestin Freinet, Friedrich Froebel et j’en passe. La plupart de ces méthodes s’accordent à dire que l’affect joue un rôle primordial dans le processus d’apprentissage d’un enfant. Celui-ci se traduit à la fois par le rôle de l’enseignant mais également par la richesse d’interactions sociales entre les enfants eux-mêmes. Autre de favoriser leur émancipation, l’affect tient une place importante quant à leur confiance en soi.
C’est pourquoi il me semble nécessaire d’amener les jeunes d’aujourd’hui à s’émanciper à la fois socialement et culturellement pour leur permettre une meilleure confiance en eux, facteur primordial favorisant un meilleur processus d’apprentissage.
Mon engagement à l’AFEV m’a également permis de m’ouvrir à d’autres réalités sortant du cadre scolaire et de les mettre en lien avec des problématiques sociales et culturelles. Durant un an j’ai accompagné Khalil, un petit garçon de 5 ans vivant à Bougainville, un quartier du 15ème arrondissement de Marseille. Bien que très autonome pour son âge, j'ai remarqué très vite son manque de curiosité pour la découverte de lieux qu’il ne connait pas et sa réticence pour se rendre dans le centre-ville qu’il juge trop éloigné. Bougainville possède pourtant une station de métro permettant un accès rapide au cœur de Marseille. La maman de Khalil m’a alors avoué qu’ils n’allaient que très peu en dehors du quartier. Ce qui était alors à la fois gratifiant et frustrant était de constater que malgré sa réticence à découvrir des lieux inconnus, Khalil me demandait souvent de rester plus longtemps une fois que nous y étions. Pourtant au fil des semaines, cette réticence était malgré tout encore présente.
Je me suis alors questionnée sur l’ouverture des populations de quartier, mais également des communes rurales environnante, à la rencontre de la ville. Soulevant à la fois des problèmes sociologiques et même politiques, cette ouverture n’est pas toujours la bienvenue. Pourtant, en rencontrant Manon Peralta, travaillant au seins de l’association Ph’Art & Balises dans les quartiers nord de Marseille comme gestionnaire de projet, j’ai compris combien ce manque d’ouverture pouvait avoir des conséquences sur l’avenir personnel mais aussi professionnel des enfants. En effet, elle m’a affirmé que le phénomène des cités encourage les jeunes à rester entre eux et à répéter les schémas qu’ils connaissent, sans se questionner sur leur avenir et sans aspirer à des projets extérieurs à leur propre quartier. Elle m’a aussi informé que la plupart des jeunes ressentent un sentiment d’infériorité qui les immobilise dans leur propre situation et accroit leur peur de l’inconnu. Ce phénomène peut être comparable au populations rurales, issues de milieu très éloignés de l'offre culturelle, restant cloisonnés à un environnement peu stimulant.
Une autre problématique est le manque d’information sur les activités présentes en dehors d'un environnement familier. Les enfants ne connaissent que ce qu’ils trouvent facile d'accès, souvent proche des activités qui leur sont déjà familière. De plus il est probable qu'ils vivront, pour la plupart d’entre eux, dans le même endroit, avec les même personnes, toute leur vie (spécifiquement pour les phénomène des cités). Un phénomène qui accroit le sentiment de communauté minoritaire au seins d’une ville, ou à l'échelle nationale, et qui restreint beaucoup le développement culturel et social des jeunes.
Les problèmes auxquels font face les jeunes des quartiers populaires ou des zones extra-rurales ont des incidents directs sur leur avenir et l’idée même qu’ils s’en font. Leur sentiment d’infériorité ne cesse de croître lorsque l’actualité ne cesse de relater les difficultés les concernant, soit l’analphabétisme et l’illettrisme pour les quartiers les plus difficiles, ou encore le manque de culture. Leur repli dans leur propre environnement les empêche également de s’ouvrir à autre chose ou d’avoir même la conscience de l’autre chose. Ce cercle vicieux semble reproduire les même schémas de génération en génération, amplifiant les sentiments de communautarisme, d’isolation et d’injustice déjà évoqués précédemment.
C’est pourquoi j’aimerais amener ces enfants à rencontrer leur ville, afin de mieux la connaître et soulever son potentiel, et cesser d'uniquement l’observer. Puisqu’ils vivent dans cette ville, ils peuvent en devenir acteurs. En les encourageant à partir à sa découverte, tout en relatant leurs expériences, j’aimerais qu’ils construisent leur propre parcours relationnel avec l’environnement qui les entoure. Comme une balade socioculturelle, cette expérience pourrait profiter à leur connaissance de lieux et de ses activités. Ainsi ils développeraient également du vocabulaire spécifique et pourraient découvrir des métiers ou loisirs dont ils ignorent l’existence. Mais puisque l’ouverture sociale et culturelle ne s’effectue pas que dans un sens, ce projet serait également l’occasion de donner la parole à des enfants en les laissant s’exprimer avec leurs propres mots et leurs propres visions. L’idée est d’éliminer un sentiment de frustration chez ces jeunes leur donnant l’impression que leur propre culture ou vision du monde qui les entoure vaut moins que les autres et stimuler leur curiosité de ce qu’il ne connaissent pas ou ignorent même l’existence. Le but est aussi de diminuer les stigmatisations de cette jeunesse ainsi que la ségrégation leur donnant un sentiment d'injustice. Imaginer dans un environnement extra-rurale, ce projet peut également amener les enfants à imaginer de nouvelles possibilité de dynamiser leur environnement et d'y créer, par leur propre moyen, de nouvelles ouvertures culturelles.
Le projet se déroule donc en deux temps relatant différents enjeux. Le premier consiste à les accompagner dans un travail de découverte. Comme une grande chasse aux trésors, il s’agit d’accompagner les enfants dans différents endroits symboliques de la ville dans laquelle ils vivent, mais aussi ceux de leurs choix (monuments, parcs, espaces publiques, espaces de loisirs, bibliothèques, bâtiments anciens...).. En explorant ou simplement observant les lieux, les enfants sont invités à témoigner, avec leurs mots, de leurs expériences. Il s’agit également d’amener les enfants à rencontrer d’autres personnes présentes sur les lieux et les encourager à les questionner. Ce temps d’enquête doit pouvoir développer la mobilité future et autonome des enfants et leur donner connaissance de lieux qu’ils pourront avoir besoin de côtoyer. C'est également un moyen de les accompagner à imaginer ce que peut-être leur ville de demain.
En deuxième temps arrivent les activités pratiques qui consistent au travail d’écriture de leurs témoignages et de la réalisation graphique de la carte et de l’édition. Cette séquence est primordiale pour favoriser le travail d’enquête en amont des enfants et les encourager à monter un projet de A à Z. Ce temps est pour eux l’occasion d'exprimer leur créativité et de prendre du recul sur leurs expériences précédentes. En partageant leurs témoignages, les enfants sont amenés à se confronter aux autres visions de leur camarade et prennent conscience de leurs propres ressentis. Ce travail permet de mettre en avant l’expérience personnelle de chacun sur des situations communes. L’ensemble crée alors un témoignage visuel et textuel de leurs rencontres et de leurs parcours dans la ville.
La création d’une carte interactive permet enfin, d’après une même carte, d’avoir accès aux différents témoignages des enfants et d’élargir le support de ces témoignages avec d’éventuelles photos, vidéos ou sons. Elle pourrait également être contributive par son accessibilité et inviter toutes personnes à créer sa propre visite urbaine. D’après un même support, il serait possible de prendre conscience de la mixité sociale, culturelle et générationnelle créée à partir de la visite d’une ville. Cette carte contributive ferait office d’historique et permettrait aux enfants de revenir sur leurs propres propos suite à de nouvelles expériences. Elle leur donnerait également une visibilité gratifiante.
J'espère à travers ce projet transmettre les valeurs qui me tiennent à cœur. En ayant conscience que la mixité sociale et l'interculturalité sont sujets à controverse, dû à l’ethnocentrisme, notre manque d'objectivité et les contextes géopolitiques, je pense malgré tout que les rencontres socioculturelles et la diversités qu'elles procurent sont une grande source de création et nous amènent à aller de l'avant, ensemble.
Aveyron
Par le(s) artiste(s)