Lors de cette résidence au sein d'un établissement scolaire, je travaillerai avec les élèves et l'équipe pédagogique autour de la création textile à base de matières brutes (comme le plastique ou le papier) pour la réalisation de trois costumes grotesques illustrant trois émotions. Pour commencer la création, nous étudierons l'histoire du costume grotesque / du costume-sculpture à travers l'histoire de l'art. Avec la découverte de ces œuvres textiles, très souvent peu connues et étranges, les enfants seront sensibilisés à la création et plus largement à l'exploration de leur imaginaire et de leur émotions. Afin qu'ils assimilent les étapes de créations et de réalisation, j'apporterais les costumes faits de peluches de la série « Zoo » réalisés pour l'artiste photographe Myette Fauchère. Je propose que trois émotions : la joie, la peur et la colère, soient le prétexte des recherches artistiques des enfants. Ces émotions seront associées à trois silhouettes grotesques ou monstrueuses, modelées par le regard, les idées et l'imagination des enfants. Ces trois costumes seront aux mesures des enfants afin qu'ils puissent eux-mêmes les porter. Pour les matières, nous privilégierons le recyclage, organisé en amont et durant la résidence, chez les élèves, à l'école et par moi-même. Trois matières brutes seront à récupérer: le plastique d'emballage, les sacs; le papier, le carton; et les vêtements usagers. Ces matières triées et prêtes à un nouvel usage serviront à la création des « textiles ». Par cette étape, les enfants participeront à un acte écologique utile et créatif. Associé aux trois émotions, nous travaillerons la plastique des matières avec différentes techniques telles que la couture, le crochet, l'origami, les nœuds ou le tissage. La matière sera découpée, déformée, nouée afin de réaliser les textiles qui recouvriront les modèles de costumes réalisés en amont. Enfin, nous mettrons en scène les costumes, qui seront ensuite immortalisés par une séance photo.
J'ai commencé à travailler des matériaux bruts, tel que le papier, en 2011, lors d'une création de costume où je cherchais à reproduire un effet de plume pour des ailes d'anges.
C'est d'abord pour une préoccupation économique que j'ai choisi le papier, omniprésent et abondant dans nos quotidiens. Ses qualités modelables et d'aspect fragile, affirmèrent mon choix pour la réalisation de plumes travesties sous une centaine d'origamis, cousues sur un support en tissu.
À partir de là, je me suis mise à travailler les matériaux bruts pour leur donner une seconde vie et chercher ce qu'ils pouvaient dégager lors de diverses transformations. Ces matériaux bruts m'ont apporté d'autres qualités que le textile, mais aussi d'autre inconvénients positifs qui impactent sur le jeu et la posture du corps du danseur. À travers mon métier de costumière, je cherche à faire travailler le corps par des restrictions par le costume, par des matières et des volumes, comme l'a fait Jean-Paul Gauthier pour le spectacle « Le Défilé », chorégraphié par Régine Chopinot avec des costumes débordant de tulle, entre autre.
Dans cette expérience de recherche de poésie, j'ai travaillé le carton comme structure, lui donnant les mêmes qualités de maintien qu'un corset baleiné, mais avec sa fragilité évidente de papier.
Touchée par la pièce du chorégraphe Rodrigue Ousmane « Leda » jouée à la Biennale de la Danse à Lyon en 2014, je décide de travailler la matière plastique. Mon projet de tissage à base de sacs plastiques au sein d'un atelier de tisserands à Dakar, durant quatre mois, a été sélectionné par la Fondation Culture et Diversité pour le programme "Voyager pour apprendre" en 2015.
Lors de ce voyage, les échanges avec des artistes Dakarois ont été essentiels à ma recherche. Notamment la rencontre avec l'artiste photographe Fabrice Monteiro, qui a réalisé une série « The Prophecy » autour d'objets recyclés qui dénonce l'horreur des déchets au Sénégal. Avec également l'artiste Doulcy qui a confectionné les costumes. Ces rencontres m'ont permis d'échanger sur des méthodes de travail et sur l’esthétique secrète de ces matières.
Toujours dans le même processus, j'ai tout d'abord récolté les matériaux, puis j'ai transformé les sacs plastiques en fils afin de pouvoir les tisser.
Le plastique est partout, il est imperméable, il s'étend, il se déforme et peut être de toutes les couleurs. Il représente pour moi les Doff (fous en wolof) de Dakar et du monde. J'ai travaillé le tissage comme si je réalisais une armure pour les fous, une armure qui représenterait cette carapace portée par pudeur pour se cacher de la norme sociale : parfois sombre, rocheuse, parfois éclatante de rouge ou poilue.
J'ai également cherché, à travers la création textile, à retranscrire ce que la folie peut infliger au corps humain. Dans ce projet, le plastique est étouffant, souple, et peut paraître dangereux sous certaines formes. Par ailleurs, les textes d'Antonin Artaud ont été une référence dans mes projets car il retranscrit avec poésie ces états de folies, de souffrances où le corps se fissure à l'âme.
« Description d'un état physique
Une sensation de brûlure acide dans les membres, des muscles tordus et comme à vif, le sentiment d'être en verre et brisable, une peur, une rétraction devant le mouvement, et le bruit. Un désarroi inconscient de la marche, des gestes, des mouvements. Une volonté perpétuellement tendue pour les gestes les plus simples, le renoncement au geste simple » Antonin Artaud, 1925
Je souhaite travailler cette représentation avec l'utilisation des bandes magnétiques de cassettes vidéo ou audio pour leurs finesses, leurs aspects luisant, leurs fragilités et l'accumulation qu'elles engendrent pour recouvrir un corps. C'est aussi le travail de l'accumulation et l'effet de la masse qui m’intéresse dans cette recherche. Qu'est ce que je vais faire de toute cette masse ?
Je suis curieuse de découvrir la vision que possèdent les enfants à travers certaines émotions, voire certains états comme la folie. Leur regard neuf, mais déjà influencé, nous promet une imagination créative et libre.
Cette expérimentation commune entre les enfants et moi-même, enrichira naturellement mon expérience de costumière conceptrice, notamment pour les commandes auprès de compagnies de danse et de marionnette. La même histoire, la même émotion est exprimée de manière différente selon les intentions du metteur en scène, les costumes permettent de souligner ces choix. Dans mes prochains projets, je pourrais m'appuyer sur cette expérience de création qui met en relation une émotion, une matière et une forme.
De plus, je suis curieuse de savoir comment un costume s'adaptera au corps d'un enfant de CM1, CM2 et 6ème, dont les proportions sont très différentes d'un corps adulte. Car il est très rare de travailler avec des enfants sur les créations.
Aveyron
Par le(s) artiste(s)