Le projet de recherche “Forestis Apparatus” vise à relier les notions de territoire et de culinaire : d’une part envisager le territoire et sa flore spontanée comme source originelle d’un repas, d’autre part utiliser le prisme du goût comme outil d’exploration d’un territoire. Il s’agit d’explorer une flore forestière, la repérer dans le temps et dans l’espace, la répertorier, et envisager ses possibles, ses corps comme ses rebuts, afin d’en tirer une matière. Cette matière sera axée sur la notion du comestible, ou gravitera autour de cette notion, dans la question de la transformation de la plante. Plusieurs questions sont envisagées : où les trouve-t-on ? où les mange-t-on ? Comment la travailler fraîche, comment la conserver ? Et comment cela bouleverse-t-il les codes traditionnels de la préparation et la consommation d’un repas ?
La randonnée est une pratique sportive que nous envisageons souvent comme médium du projet. La marche, proposée par Thoreau comme “authentique exercice spirituel”, est une pratique qui, en plus de sa simplicité énergétique, nous plaît pour la philosophie qui y est associée, supposant un rapport au temps apaisé, imposant l’écoute et l’observation attentive de environnement. Dans l'appréhension d’un territoire et pour favoriser la construction d’un sentiment d’appartenance et d’affection envers celui-ci, elle devient un moyen idéal car elle permet de se re-concentrer dans un rapport du corps à l’espace en s’ouvrant à un champ de sensorialité vive (active).
Ces notions introduites : lenteur, énergie, sensorialité, affect, nous conduisent à penser que la marche rend l’esprit disponible dans un état similaire à celui nécessaire à la dégustation.
Considérer l’aliment dans son milieu : aller vers une dégustation en conscience
Le projet ne se borne pas seulement à proposer une reconnaissance des espèces et leur identification mais propose de les apprivoiser par le biais d’une mise en oeuvre du quotidien, une typologie bien connue : le repas.
La préparation d’un repas, au quotidien, suit aujourd’hui pour presque tous un type de protocole : acheter des aliments, les amener dans la cuisine, les transformer (si cette action a lieu) puis manger. Il est possible, et facile, en suivant ce protocole dans les chaînes de petites comme de grande consommation, de se détacher d’une certaine logique : la saisonnalité des produits, leur origine, leur mode de culture, la distance d’importation, la notion de temporalité.
Plusieurs processus peuvent cependant contribuer à enrichir le dialogue que nous entretenons avec notre alimentation, et y retrouver une dimension logique. Il peut s’agir de trouver un mode de consommation qui réduit les intermédiaires, rencontrer des producteurs. Il s’agit aussi de renouer avec des principes traditionnels de transformations, qui s'opèrent traditionnellement selon des paramètres de saison, de climat, de temps, et de territoire, et plus particulièrement tout ce qui concerne la conservation ; principes de fermentation, séchages et infusions. Tous ces processus amènent la question de l’alimentation en conscience : connaissance transparente de ce que nous ingérons, symbiose avec l’aliment qui nous nourrit et nous énergise, symbiose avec l’environnement qui l’a fourni.
Cette recherche est l’opportunité d’explorer la manière dont nous pourrions inverser le processus : au lieu de faire venir un produit à notre table, se mettre à table dans un territoire, en lien avec sa ressource naturelle et spontanée. Et ainsi, utiliser le territoire comme source d’alimentation, mais aussi dans l’autre sens : utiliser le goût et l’aliment comme outil d’appropriation d’un territoire. Se mettre à table dans le territoire, c’est se nourrir de ce qu’il offre, et ce dans une esthétique modeste : envisager la matière première dans son ensemble, avec son corps et ses rebuts, qui pourront être transformés en supports du repas (objets, emballages ou couverts).
Le choix d’ancrer ce projet dans le milieu forestier :
Travailler sur un environnement forestier c’est être en contact avec un paysage qui relève en grande partie d’une flore spontanée et d’espèces peu, voire pas cultivées. Dans des projets à l’échelle d’un territoire, notre intervention de paysagiste vise à interroger d’un côté les modes d’agricultures et leur impact sur le plan économique et écologique, et à travailler de l’autre à la préservation de milieux sauvages. Une confrontation se dessine là entre le cultivable et le spontané, la consommation et la préservation. C’est ce dernier aspect qui nous motive dans le projet de création ”Forestis apparatus”. Impulser l'alimentation, même ponctuelle, d’une ressource spontanée permettrait d’encourager la consommation sans y associer un mode production.
Le projet de création vise aussi à la redécouverte des plantes sauvages dites adventives (qui poussent là où on ne les attend pas) souvent comestibles. Cette démarche propose un changement de perception du paysage quotidien car elle valorise une flore commune, ordinaire, différente de la flore exploitée et de celle des jardins particuliers. Travailler avec ces espèces spontanées peu connues permet de faire connaître des espèces moins populaires auprès des habitants, alors qu’elles constituent pourtant le terroir forestier. Cette impopularité, voire ce rejet, nécessite que nous construisions un discours et des propositions moins évidents mais qui nous apparaissent aussi plus fertiles et enrichissants. En effet il est pour l’instant plus aisé de fédérer autour de la notion de terroir en partant d’espèces cultivées dites horticoles (la fraise de Plougastel, l’artichaut de Laon, l’oignon de Roscoff, ou le haricot de Soissons) plutôt qu’en parlant d'adventices. Moins fédératrices, celles-ci sont pourtant plus locales et réellement porteuses des spécificités génétique du territoire-terroir.
S’appuyer sur cette palette végétale nous amène à concevoir un projet en réelle interaction avec le site et son milieu spécifique. Ces éléments sont autant de paramètres qui influent sur les plantes comestibles, mais aussi l’espace qui accueille celui qui y marche : ils impactent la plante dans son goût, comme ils impactent le rapport du corps au territoire qu’il traverse. Ils feront donc partie intégrante de l’étude du territoire.
Par le(s) artiste(s)