Timidités

Timidités

Publié par Naomi Melville

Journal du projet

Avec M. Annerose, l’enseignant de la classe de CM1-CM2 et directeur de l’école Renaud David, nous avons décidé d’introduire le projet dans le programme scolaire, et réciproquement. Ma résidence a commencé sous le signe de l’écriture : en arrivant, j’étais très prolixe et les mots m’aidaient à trouver un ancrage. Mi-avril, cela a été au tour des élèves de se mettre à la tâche.

J’ai commencé par leur présenter des textes de deux poètes que j’affectionne particulièrement : Léon Gontran-Damas, guyanais, et, pour nous délocaliser davantage, Amelia Rosselli, une auteure italienne qui démantibule ses phrases et mêle ses mots très librement. Nous avons lu à voix haute, compris le rôle de la répétition, que celle-ci, bien utilisée, n’était pas forcément synonyme de mal écrire, et nous avons d’ailleurs travaillé sur ce point.

En travaillant en groupe, à voix haute encore, nous avons obtenu des résultats très satisfaisants, voire surprenants. Chacun rebondissait sur les vers de l’autre et certains se découvraient un don d’orateur.

 

C’est folichon
ce casse-tête
mais quel torchon
cet objet ludique.
Ton jouet
n’est que fouillis
n’est que malheur
Je vocifère
je perds les yeux
je n’ai que faire
d’un cafouilleux

 

En classe, avec et sans moi, et à l’initiative de M. Annerose, les enfants ont développé des contes, toujours sur les mêmes objets ramenés début avril. Nous nous sommes ensuite filmés et enregistrés en train de les rejouer, seuls ou à plusieurs. Certains élèves habituellement timides n’avaient alors aucune gêne, d’autres, plutôt frimeurs, riaient nerveusement devant la caméra. Outils en main – je leur ai finalement tout laissé gérer -, ils ont réalisé une petite vidéo compilant ces histoires, ainsi que plusieurs affiches.

 

Ce casse-tête aux couleurs de l’arc-en-ciel
et plus beau qu’une sirène
séparé par des fentes
qui évoquent des rotations
comme une toupie
munie de coins
avec une forme géométrique.

 

 

En relisant cet article, je m’aperçois que j’ai oublié de parler du rapport qu’entretiennent les enfants au créole. Le créole guadeloupéen n’est pas reconnu comme une langue à part entière (et il me semble que le seul qui le soit est le créole haïtien). Ainsi, il garde une forme principalement orale, et n’est enseigné en tant que dialecte, et étudié, qu’à partir du collège, voire du lycée. De plus, tous les créoles s’écrivent de façon presque phonétique. Un créole bien écrit retranscrit au plus près les sonorités qu’il produit.

Ce n’est donc pas des fautes d’orthographe, qui pourraient paraître nombreuses, que font les enfants de la classe où j’interviens, mais des incursions dans le créole, avec l’envie de l’intégrer à ce qu’ils racontent. Leur rapport à ce dernier est d’ailleurs assez conflictuel, mais cela mériterait un article complet.

Durant mes derniers jours de présence à l’école, j’ai réalisé un essai de pièce sonore. Je voulais enregistrer les enfants en train de m’apprendre à parler créole, ce qu’ils ont jugé (avec raison) nécessaire à mon intégration, et juxtaposer ces enregistrements avec des lectures qu’ils feraient de textes plus théoriques, introduisant également à l’apprentissage du créole. J’ai apporté avec moi quelques textes linguistiques, comportant des passages compréhensibles pour des enfants de cet âge, retraçant une théorie de l’émergence des langues créoles. J’avais demandé à quatre des élèves, dont je suis particulièrement proche, de les lire à voix haute avec moi. Ils se sont insurgés contre le fait que ces textes étaient en français, alors qu’au vu de leur destination, ils devraient être traduits en créole. Ils m’ont alors proposé un essai de traduction sur le vif, que j’ai enregistré et monté par la suite. J’ai été fière de ce genre d’intervention, de la confiance qu’ils m’ont accordée ce jour-là, de la pertinence de leur engagement.