Araser

Araser

Publié par Naomi Melville

Journal du projet

Ces cinq mois ont été l’occasion de faire beaucoup de route.

La départementale sinueuse montant de Basse-Terre où je réside à Mahaut, le lieu-dit où se groupent quelques maisons et l’école où j’interviens, et qui croise tous les villages de la Côte sous le vent, ainsi que plusieurs cases très largement ouvertes, abritant étals de fruits et légumes, stands de poisson ou bars. La route de la Traversée, la seule qui coupe la Basse-Terre de part en part, régulièrement ponctuée de points de vue et de départs de traces s’engageant dans les Mamelles, les monts qui l’encadrent. La voie rapide opérant la jonction entre Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, parallèle à une autre départementale, étroite, desservant toutes les communes de la Côte au vent, plus importantes, plus urbanisées. Les routes quadrillant la Grande-Terre et sa végétation plus basse, luxuriante mais plus domestiquée. Les chemins étroits montant dans les mornes au-dessus des villages ; enfin les traces rejoignant certaines maisons, à peine visibles pour qui ne les connaît pas.
Ceci, à bord de cars, de voitures d’amis, de celle de ma monitrice d’auto-école.

On entend régulièrement des plaintes à propos du mauvais entretien de ces routes, des trous qui les occupent, du peu de budget accordé à l’entretien du territoire par le gouvernement. En même temps, on peut observer de nombreux travaux le long de ces mêmes routes, des poses de filets prévenant des chutes de pierres le long des falaises, des opérations d’élagage… Mais rien de tout cela ne semble suffisant et il arrive fréquemment que de longues herbes s’engouffrent dans les vitres de droite d’un véhicule, ou que l’on soit surpris par un cahot inattendu.

Mais comment faire pour prendre son indépendance vis-à-vis du gouvernement et de ses dispenses irrégulières de fonds ? “Aider l’agriculture locale à se développer”, c’est une réponse qui revient fréquemment, et contrer les cultures de bananes et de canne principalement destinées à l’export. Au marché, un des étals est tenu par une femme svelte d’une soixantaine d’années, Hilma, qui ne vend que des fruits locaux : papayes, caramboles, pommes malacca, pommes lianes, maracudjas, prunes zikak, prunes de cythère, sapotilles, goyaves… En février, elle vendait également des groseilles. Leurs fleurs comptent parmi les aliments les plus colorants que j’ai rencontrés.

J’en ai extrait de l’encre, en les couplant avec de l’eau de mer. J’ai obtenu plusieurs nuances. Avec ces encres, ce sont les fameux trous observés dans la route que j’ai représentés. Reboucher – “araser” – les failles d’une économie plus globale avec un matériau issu de l’économie locale.