Hivernage

Hivernage

Publié par Naomi Melville

Journal du projet

C’est le nom de la saison (bien que les saisons soient d’une grande subtilité, ici) qui a duré quelques semaines, au mois de mars, avant que commence le carême.

C’est aussi le nom de la troisième pièce que j’ai réalisée ici, après journaux et filets. Durant l’hivernage, des bourrasques de vent, même dans les zones habituellement non exposées (comme dans le bourg de Basse-Terre, où je réside) projettent les feuilles contre les trottoirs, particulièrement celles du mangofil, l’arbre à mangues le plus commun (j’ai appris qu’il en existait 80 variétés). Ses feuilles forment des torsades qui semblent contenir à elles seules l’essence des vents : de la bise au cyclone, ceux qui parcourent l’archipel, j’ai voulu garder leur présence, la matérialiser. Pour cela, j’ai moulé plusieurs centaines de feuilles de mangofil, dont la matière se prête agréablement au jeu, et je les ai alignées, formant une torsade infinie, sorte de colonne d’air, le long de trottoirs recréés, de la couleur des tables de l’école.

Une pièce dont j’ai envie qu’elle soit parcourue, qu’elle devienne une aire de jeux.

Jouer : la classe avec laquelle je travaille, deux mois à l’avance, sent l’odeur des vacances. Proposer un atelier où l’on travaille le plâtre est un pari risqué, car il est vite synonyme de jeux, de courses. Mais certains élèves, qui avaient plus de mal à peindre, ou n’en manifestaient pas tellement l’envie, se découvrent aimer des travaux plus manuels et dirigent les activités. Après avoir tenté de mouler, de mon côté, le mouvement du vent, c’est sur aussi sur les mouvements que nous travaillons en classe. Chacun prépare un geste qu’il lie à l’objet familial qu’il a précédemment ramené, et nous le moulons en plâtre, qui sera ensuite peint.

Les mouvements sont d’abord timides, puis prennent de l’ampleur quand les élèves découvrent qu’ils peuvent utiliser leurs pieds, leur jambe, et travailler en groupe. En parallèle, certains m’expliquent le pourquoi de leurs gestes, récits qui donneront lieu à des contes et poèmes dans le prochain épisode.

Après l’hivernage, vient le carême, fin avril. A cette période, mon rapport au quotidien a changé. Dans un prochain article, je parlerai du dépaysement, qui est allé croissant ; mais en parallèle de cela, j’ai pris des habitudes, j’ai commencé à sentir que je m’implantais. J’ai voulu partir cinq mois, aussi dans le but de sentir mon quotidien évoluer, sentir que je passais d’un espace de transit à un domicile, et, au niveau de mon projet, percevoir les phases successives de compréhension de mon sujet de travail, de tâtonnement, celle où les idées se succèdent. Lorsqu’il a commencé à faire très chaud, à la période du carême, et que les températures ont dépassé les 30 degrés, j’ai senti que j’entrais dans une phase de production, d’heures de travail conséquentes, et, en parallèle, que j’avais déjà construit des repères, des débuts d’amitiés locales, une connaissance du lieu, de ses possibilités. A ce moment-là, j’ai compris que doucement, je m’approchais de la fin de ma résidence, et qu’il fallait donc produire avec d’autant plus d’énergie.