Le climat et l'histoire

Le climat et l'histoire

Publié par Naomi Melville

Journal du projet

J’ai décidé de m’immerger aux Antilles durant cinq mois consécutifs afin de mener en profondeur le travail projeté pour cette résidence.

Cela fait bientôt un mois que je suis arrivée, et j’ai des pistes désormais assez claires pour en détailler les premières ici.

Le premier sentiment que je tire de cette expérience concerne les communications qui s’établissent entre les habitants et moi, qui m’étonnent encore, de par leur forme. Le vouvoiement n’existe pas, il s’éteint dès les premières phrases échangées. Le rapport de distance est minime : on aborde immédiatement le vif du sujet, les intentions sont révélées. Très vite, cela m’a amenée à discuter de l’intimité des vies, du travail et du quotidien des personnes que je rencontrais dans le bus, dans la rue, à vouloir partager des moments avec eux et à ne pas hésiter à passer une soirée en leur compagnie peu après notre rencontre.

L’un de ces échanges m’a fait évaluer les revendications de certains Guadeloupéens quant à l’autonomie du territoire. La personne en question m’a notamment parlé des actualités locales et de la manière dont elles étaient peu ou mal représentées dans le journal “officiel”, France-Antilles, qui consacre seulement trois à quatre pages sur quinze ou vingt à la politique et à l’économie locale (des faits anecdotiques étant souvent mis en lumière). Me procurant nombre de ces journaux, j’y ai effectivement retrouvé les sujets abordés lors des discussions que j’ai eues, mais sous une forme édulcorée.

J’ai donc décidé d’approfondir ce travail documentaire et de rendre hommage à ces témoignages. Je collecte les articles contemporains à ma présence, ayant un lien avec ces discussions. En parallèle, je retranscris celles que j’ai eues, en les situant dans leur contexte, leur conférant un mode d’écriture romancé, mais en étant la plus proche et fidèle possible à leur contenu. Enfin, j’ai entrepris un travail de recherche dans les petites archives locales. Bien que nombre documents soient disponibles en métropole dans leur version originale, j’ai pu y trouver des journaux censurés dès leur parution, très engagés politiquement.

Ma recherche conduira à une pièce sonore où je ferai intervenir et lire les acteurs de ces discussions, et où je lirai également mes retranscriptions.

 

Ces questions du quotidien, du territoire, j’ai entrepris de les travailler avec les enfants de CM1-CM2 de l’école de Mahaut dans laquelle j’interviens. Je leur présente également les modes de recherche que j’affectionne, notamment le passage d’une échelle à une autre lors de l’observation d’éléments, la mise en relation via leur forme d’éléments a priori disparates. Nous avons commencé à élaborer une cartographie, pour l’instant sous forme d’expérimentations, mais qui se développera à grande échelle, et inclura aussi bien des représentations de leur environnement à l’échelle de l’île qu’à celle du quartier ou à celle de minuscules objets ramassés aux environs.

Je suis heureuse de voir que tous ces enfants portent en eux une grande curiosité et je tente d’axer nos activités sur ce qui les intéresse le plus. Ainsi, vendredi dernier, en nous basant sur des cartographies existantes, nous avons entrepris de réaliser nos propres motifs. Photocopiés et multipliés, ceux-ci étaient très professionnels et il est possible que nous les exploitions sur du textile par exemple.

 

On m’a également mis un local-atelier à disposition au sein de l’école. Les matériaux présents sur place offrent l’occasion de nombreuses expérimentations, et je retrouve une joie empirique qu’à Paris je laisse parfois être absorbée par des questions conceptuelles. Ainsi, étant arrivée peu avant le Carnaval et ayant eu la chance d’être au plus près du défilé – et d’y participer brièvement -, je l’ai ressenti comme une vague, déposant sur la ville de Basse-Terre, chef-lieu de l’ouest de la Guadeloupe, des débris et des couleurs, à l’image du cyclone et des vents charriant leurs fragments en bord de mer.

Je réalise, pour garder en mémoire cette image, deux sortes de nasses, l’une à partir de tissu de palmier résultant de l’usure d’un tronc et découpé en rubans, l’autre à partir d’un fil extrait d’une dentelle carnavalesque. Ces deux filets fixés sur des structures en bois s’interpénètreront comme le font ici les réservoirs culturels et naturels omniprésents.

Ainsi, culture et climat promettent de se mêler au long de ma recherche des mois à venir.