Composition en classe

L'imprimerie et le mouvement Freinet de l'école moderne

Publié par Gaby Bazin

Journal du projet

Pour nourrir mon projet d'imprimerie mobile, je me penche sur l'imprimerie à l'école dans l'histoire du mouvement Freinet.

Avec d'autres membres du mouvement, Célestin Freinet a non seulement imaginé le principe de l'imprimerie scolaire comme outil d'émancipation, mais a aussi veillé à son application et à son développement dans le sens le plus large : mise au point des presses, adaptation du matériel professionnel aux mains et à la pensée des enfants, diffusion des écrits via la correspondance scolaire et du matériel via la coopérative...

Voici donc une petite histoire du matériel Freinet et des solutions inventées par le mouvement pour la libre expression des enfants par l'imprimerie.

En 1924, Célestin Freinet, jeune instituteur au Bar-sur-Loup dans les Alpes-Maritimes, commence à pratiquer la rédaction de textes libres et de journaux scolaires avec sa classe. À Grasse, il part à la recherche de matériel de typographie :

 Il voit de près la composition typographique, où les lettres maniées une à une lui ouvrent bien des horizons. […] Les [typographes] sourient : « Mais non, vous ne pourrez jamais rien faire avec les gosses ! Ils vous perdront toutes les lettres, ils les chiperont… »
Elise Freinet, Naissance d’une pédagogie populaire, Maspero, 1981

Cinup
La presse Cinup

Freinet achète des caractères d’occasion et une presse Cinup vue dans une revue. Elise Freinet raconte l’émerveillement des enfants à la découverte des caractères :

 

« — Oh ! Des lettres !
— Vé ! Vé ! Des O, des A…
— Oh, des P !
— Vois, le 4, le 5… »

La classe manquant de tout, l’estrade est transformée en table solide pour le matériel de typographie. Pas de budget pour du bon papier : on imprime au verso des bulletins de vote, des vis et des boulons servent à la reliure des journaux.

« Malgré leur indulgence pour leurs propres œuvres, les nouveaux protes devaient se rendre à l’évidence : ce n’était pas là le bel imprimé attendu. »

La nécessité d’améliorer le processus d’impression s’impose rapidement et Freinet n’aura de cesse de s’y consacrer dans les années qui suivent.

1929
Presse Freinet - L'imprimerie à l'école, 1929

En 1927, avec un menuisier du village, Freinet met au point une deuxième presse en bois à volet et un premier modèle de casse adaptée. Les lettres en corps 12 s’avérant trop petites, on passe au corps 36 : « La joie des petits est grande à la réception de la belle police neuve dont chaque caractère est un petit cube brillant, maniable, avec lequel on joue dans risque de le perdre dans la rainure du parquet ». Le mouvement de l’école moderne se bâtit en parallèle et Freinet donne déjà le plan de sa presse en bois dans ses publications. Par la suite, il lui ajoute un levier mécanique.

En 1930, avec un parent d’élève, il met au point la « Presse automatique scolaire Billon » puis, en 1931, la première presse métallique. L’après-guerre voit la naissance de la première presse en fonte d’aluminium, au format A5, que l’on désigne couramment comme la « Presse Freinet ».

Meuble
"Rang" de typographe adapté pour les enfants


Le matériel et l’organisation de l’espace de la classe sont perfectionnés avec le temps.

« Notre matériel d’impression n’est ni une copie, ni un ersatz des grandes installation industrielles, il est un outil nouveau qui n’existait pas avant notre initiative, qui répond à des besoins et des buts qui avaient été totalement négligés ou méconnus jusqu’à ce jour »
Célestin Freinet, Le journal scolaire, 1967

La casse Freinet se développe aux antipodes de la casse parisienne traditionnelle, avec des caractères rangés par ordre alphabétique et à la verticale. Les composteurs ont maintenant leurs porte-composteurs, les techniques d’impression de l’image sont intégrées (linogravure, mimographe, nardigraphe…)


Dans les années 1960, la coopérative scolaire fait fabriquer et diffuse à la fois des meubles, tout le matériel d’impression, et différents modèles de presse des plus simples, pour les classes de maternelle, aux plus complexes destinées aux lycées.

 

Composteur
Le composteur inventé par Freinet : une seule ligne de texte à la fois, serrée par une vis sur le côté.
Casse
La casse du typographe, revue et corrigée : au lieu d'être jetées dans les compartiments (les cassetins) et classées par fréquence d'usage, les lettres sont rangées à la verticale, dans l'ordre alphabétique.

« Dans la pratique, on ne se lasse jamais d’imprimer et les adultes se laissent prendre eux aussi à la minutie d’une technique qui permet la transcription en une forme magnifiée et définitive des textes auxquels on veut donner vie et harmonie.
L’enfant qui compose un texte le sent naître sous sa main ; il lui donne une nouvelle vie, il le fait sien. Il n’y a désormais plus d’intermédiaire dans le processus qui conduit de la pensée ébauchée, puis exprimée, au journal qu’ils postent pour les correspondants : tous les échelons y sont : écriture, mise au point collective, composition, illustration, disposition sur la presse, encrage, tirage, groupage, agrafage.
C’est justement cette continuité artisanale qui constitue l’essentiel de la portée pédagogique de l’imprimerie à l’école. Elle corrige ce qu’a d’irrationnel en éducation cette croyance que d’autres peuvent créer pour nous notre propre culture. »
Célestin Freinet, Le journal scolaire, 1967

Compo
Enfants imprimant un texte