Pour nous trois, c'était aussi l'occasion de présenter notre travail aux enfants. Les élèves ont ainsi pu découvrir nos projets passés ou en cours, et nous questionner sur les réalités du métier de scénographe ("C'est un vrai métier, ça ?!...").
Vint le moment d'aborder le projet Les jeux sont faits, que nous allons co-construire avec les élèves dans le cadre du programme Création en cours. Nous nous étions posé la question de savoir s'il valait mieux leur présenter le projet dans son entièreté, ou bien garder la surprise et les laisser découvrir de quoi il retournait à chaque étape de la résidence. Nous leur avons donc demandé si iels voulaient en savoir plus. Nous avons été étonnées d'entendre autant de NON que de OUI s'élever dans la salle de classe. Amusées, nous avons tout d'abord eu une courte hésitation. Comment respecter l'envie, le choix de chacun·e ? Un élève a alors proposé que celleux qui ne voulaient pas savoir aillent dans le couloir. Nous avons interrogé le professeur du regard ; cela semblait envisageable. "Celles et ceux qui ne veulent pas savoir ce que l'on va faire ensemble peuvent suivre Elsa ; les autres peuvent rester dans la salle, où Emilou et Adèle leur expliquerons, dans le plus grand secret, de quoi il va retourner..."
Une fois la classe ainsi divisée, un groupe se retrouve en position d'attente, dans le couloir. Je leur demande pourquoi ce choix de "ne pas savoir". Pour les enfants, cela coule de source : ne pas savoir, c'est garder des espaces de surprise. Ensemble, les élèves décident alors de se donner un nom d'équipe, "L'Idée mystérieuse", et rebaptisent par la même occasion le groupe resté en classe : iels seront "Les Curieux".
Dans de pareils moments, il nous tient à cœur de garder assez de flexibilité pour nous adapter aux propositions des élèves. Nous ne pensions pas que leurs envies diffèreraient autant sur ce sujet ; pourtant, la situation faisait écho à des recherches que nous avions menées dans le cadre de projets antérieurs. Dans La ferme des animaux, projet du collectif présenté en 2019 à l'auditorium de la HEAR (Strasbourg), nous séparions le public en deux à l'entrée du spectacle. Nous racontions à une partie des spectateur·rice·s le spectacle à l'avance, et leur donnions un "rôle à jouer" dans son déroulé, ce qui leur conférait une sorte de privilège : iels savaient.
La représentation se déroulait ensuite dans un espace aux gradins placés en position bifrontale, où ce public complice faisait face au second groupe de spectateur·rice·s, "non initié·e·s".
Nous souhaitons poursuivre notre travail de recherche autour des notions de préparation et de mise en condition préalables à une expérience (moment, spectacle, oeuvre, etc) ; nous constatons que cela module, voire conditionne, les différents types de ressentis d'une même expérience partagée, vécue par plusieurs dans un même espace, et sur une même durée. Quelqu'un·e qui va voir un spectacle en sachant à quoi s'attendre ne le vit certainement pas de la même façon que la personne qui, sur le siège d'à côté, s'est retrouvée là "par hasard". Ce qu'iels savent ou ignorent peut aussi avoir une influence sur la possibilité d'en faire des spect'acteur·rice·s agissant·e·s. Dans notre vie quotidienne, nous avons parfois envie de connaître les tenants et aboutissants d'un processus et ce vers quoi il mène, de façon à pouvoir s'en sentir acteur·rice ; à d'autres moments, nous préférons nous laisser guider par ce fil, et le plaisir de la découverte.